Chapitre 12.

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Un grand vide. Voilà ce qui avait pris la place du coeur de Jules.

Quelques minutes plus tôt, elle s'était abandonnée à sa soif, et s'était nourrie plus qu'abondament sur le corps de ce pauvre homme, tout ça sous les yeux durs de Theodore. Il y avait du sang partout, la pièce était emplie d'un désordre inexplicable. Theodore s'était chargé de faire disparaître le corps, c'est tout ce don Jules se rappelle.

Tout avait changé. Tous ses sens étaient chamboulés. Elle ressentait tout de manière emplifiée, un véritable supplice. Chaque émotion était un nouveau cancer. Elle arrivait à entendre des conversations qui se tenaient à des kilomètres, sa vue n'avait plus aucun défaut. Désormais elle voyait chaque détail de chaque feuille sur les arbres les plus éloignés, dans l'arrière-plan de ce qu'elle voyait depuis sa petite feneître. Quand elle essayait de manger quoique ce soit d'humainement comestible, sa langue, son palais, sa gorge la brûlaient. Elle reconnaissait toutes les odeurs de fleurs, là dehors. Elle n'avait pris aucune drogue. Et pourtant elle se sentait planer, lourdement au-dessus de sa propre tombe.

<<Tu vas te sentir comme ça pendant deux ou trois jours, c'est une étape obligatoire.>> lui avait dit Theodore avant de partir.

Chacun de ses mots la frappaient à l'intérieur, lui tabassaient les tympans. Elle ne savait même pas que l'homme avait quitté la pièce.

Son cœur était inondé de sentiments qui lui étaient alors inconnus: l'excitation, un grand soulagement, et surtout, un lourd fardeau avait déserté ses épaules, la culpabilité. Malgré tout ce qu'elle pouvait bien ressentir, toutes ces nouvelles saveurs auxquelles elle s'ouvrait, cet arrière-gout de culpabilité qu'elle avait sous la langue depuis presque deux ans, s'était évanoui dans la nature, avait complètement disparu. Le reproche, le doute, tous s'étaient inexplicablement envolés quand elle s'abreuva de l'homme, comme si l'histoire avait reprit son cours, comme si rien n'était de travers, tout était normal.

L'animal chasse, et tue pour se nourrir.


Il fallut deux heures à Jules pour réussir à s'endormir, le temps que ses nerfs se calment et que les battements de son cœur reprennent un rythme normal. Avant de sombrer dans le sommeil, Jules fut plongée dans un sentiment de plénitude, un grand calme, et le repos la prit instantanément, sans aucune difficulté. Dans ses rêves, elle ne voyait plus ces visions nocturnes effrayantes qui la réveillaient en sueur, elle entendait une chanson douce, et revoyait le beau visage de sa mère, affichant un air serein. Elle avait enfin eut ce qu'elle voulait depuis si longtemps. Plus aucun tourment. Juste un vaste silence, le repos.


Quand elle se réveilla, le soleil venait à peine de se coucher, et la nuit tombait tout juste. Les premières étoiles n'étaient que de lointaines lueurs dans un ciel encore entaché d'orange. La lune s'esquissait au loin. S'approchant de la fenêtre, elle tendit le bras en sa direction, et c'est comme si elle se sentait la force de la saisir. Une force nouvelle qui lui redonnait vie. Il y avait un sourire sur ses lèvres.

Maintenant que faire. Jules ne savait pas où aller, elle avait l'embarras du choix. Plein de nouvelles perspectives s'offraient à elle: elle avait l'éternité, et une multitude de lieux où aller. Elle avait toujours rêvé de voir l'Europe. Mais le continent américain regorgeait de lieux splendides à explorer. Elle ne savait pas quoi faire en premier. Sur l'instant, elle avait envie de musique. Du jazz. La dernière fois qu'elle s'était sentie "chez elle", c'était à la Nouvelle Orléans. Maintenant, elle se sentait partout chez elle, elle voguerait au grés de ses envies. Mais pour le moment, ses oreilles mouraient d'envie d'écouter du Jazz. Sans qu'elle ne s'en rende compte, son pied droit tapait au rythme d'une des chanson qu'elle avait entendue jouer dans le quartier français. Puis elle se rappela. Elle avait des amis là-bas.

Avant d'entamer son long voyage autour du globe, elle reviendrait sur ses pas.

Elle se dirigea dans la salle de bain et retira ses vêtements encore souillés du sang du pauvre homme. Elle entra dans la cabine de douche et fit couler l'eau. La haute température du liquide lui procura une brûlure plaisante, qu'elle accueilli avec un soupir de bien-être. L'eau s'évacuait avec des teintes de rouge. C'était une si belle couleur.

Elle enfila un ensemble un peu léger, un jean brut et un débardeur gris, des tennis et son blouson en cuir. Ses cheveux presque secs prenaient des ondulations rebelles, et son reflet dans le miroir lui plut. Elle se trouvait normale, pleine de vie, avec un sourire qui lui allait si bien. Il ne manquait qu'une chose pour aller avec son nouveau look. Elle tourna sur elle-même et alla fouiller dans son sac. C'est ça, se dit-elle. Elle glissa sa paire de lunettes aviateurs sur le nez. Maintenant, sa tenue était complète.

Elle plia ses affaires sans trop de soin, remit la chambre à peu près en état, et ferma la porte à clefs. Elle descendit les marches de l'escalier deux par deux, balança les clefs et plus de billets que nécessaire sur le comptoir, sonna la cloche et partit sans un bruit.

Elle alluma le contact, et sans prendre la peine de boucler sa ceinture, démarra la voiture et s'en alla. Dans le processus elle avait allumé la radio et quand elle s'accorda sur une chaine qui diffusait une chanson entrainante dont elle connaissait quelques paroles, monta le son et appuya sur l'accélérateur. Elle n'avait pas prit en compte les limitations de vitesse et roulait à vive allure, la radio à fond, chantant comme une ado. La chance était avec elle à présent: pas une voiture, aucun contrôle, et pas l'ombre d'un radar.

Elle avait programmé une alarme sur son téléphone pour la prévenir une heure avant le lever du soleil, et après avoir conduit comme ça pendant des heures, elle s'arrêta dans une petite ville dont elle ne prit même pas connaissance du nom. Elle s'arrêta au premier hôtel, réserva une chambre et posa ses affaires. Elle avait encore trois quarts d'heure devant elle avant le lever du jour.

Elle se mit donc en quête d'un bar, mais ce soir et tous les autres soirs à partir de ce jour, ce n'était plus de l'alcool qu'elle cherchait. Elle n'avait pas attendu plus de cinq minute devant la sortie d'un établissement qu'homme en sorti. Elle était adossée de manière nonchalante à un mur sale, les bras croisés, avec son sourire. Nul doute qu'un homme avec 3g d'alcool dans le sang interprèterait les signaux d'une manière ou d'une autre. Il ne marchait pas bien droit, et ses yeux étaient à demi-clos. Quand il aperçut la jeune femme seule dans cet endroit, il ouvrit de grands yeux et se dirigea sans peine vers elle. A vue de nez, il avait bien la cinquantaine, des cheveux sobres inégalement répartis sur son crane, et une moustache dégoutante. Il avait un sourire en coin très évocateur de ses pensées lorsqu'il déshabilla Jules du regard. Cette dernière ne fut pas choquée, où dégoutée, c'était exactement ce qu'elle cherchait.

<<Mais que fait une demoiselle de votre allure toute seule ici à une heure pareille?

-Elle cherche sans doute un peu de divertissement.>>

A l'air étonné qu'il prit avant d'avancer vers elle, Jules savait qu'il était déjà mort. Perdu.

Il se jeta presque sur elle, l'encerclant de ses bras flasques avec une force humaine. Avant qu'il n'ait eut le temps de poser sa bouche poisseuse sur elle, elle avait prit sa place, l'avait mit contre le mur et avait plongé sa bouche contre son cou. Ses crocs dans sa chair. Il écarquilla les yeux, le regard empli de terreur, il déglutit douloureusement et au fur et à mesure que Jules buvait, elle le sentait contre elle perdre peu à peu son énergie vitale. Quand elle se décolla, il s'écroula de manière peu gracieuse au sol. Son sang s'écoulait par terre, mais il faisait si sombre ici que personne ne verrait rien de cette scène avant le lever du jour. Rassasiée, Jules repartit à l'hôtel le sourire aux lèvres, la démarche chaloupée d'une prédatrice hors-paire, faite pour ce qu'elle ferait de mieux: chasser, traquer, et tuer.



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