Jour ? - Suite

23 2 0
                                    

Cela faisait plusieurs heures que Jules était revenue du bloc, et pas un bruit ne se fit entendre depuis. Elle n'avait rien dit ni fait pour se faire entendre, pas entamé de conversation avec son voisin de cellule. Elle était simplement restée sur le sol poussiéreux de sa cage, inerte et silencieuse.

Il était presque midi quand Viggs se leva de son fauteuil pour consulter le planning. Cet après-midi, Jules retournerait au bloc 2. Il bailla, se frotta les yeux, encore fatigué de la nuit agitée qu'il avait passé. On pourrait croire qu'infliger pareilles atrocités à de pauvres êtres lui auraient donné des cauchemars, mais non, ce qui l'avait empêché de dormir se résumait à une femme alcoolique et une mère hystérique. Il n'était pas du genre à se confronter aux problèmes de la vie quotidienne, mais plutôt à subir pour mieux se décharger ensuite dans un labo.

Il soupira en pensant à ce qu'allait être son retour à la maison, ce soir. Il n'avait pas hâte. Il aimait son travail, si l'on pouvait vraiment l'appeler ainsi. Il était l'homme le plus curieux que ce monde ait jamais vu, et son obsession pour les corps avait très largement arrangé Clark. Ils n'avaient pas les mêmes motivations et pourtant leur association leur était tant bénéfique.

Il remit ses lunettes sur le bout de son nez rond et prit la direction des cellules. Il fut surpris par le calme qui régnait dans le couloir. Souvent il entendait des bribes de conversation entre les deux détenus, tentant désespérément de combler le vide. Il marcha jusqu'à la cellule de Jules, pour vérifier qu'elle s'était nourrie convenablement avant de l'emmener au bloc. 

Il eut des sueurs froides en constatant que Jules gisait encore sur le sol, à quelques centimètres d'une poche de sang, presque pleine. La panique l'envahit. Elle n'en avait prit qu'une dose insignifiante et n'avait pas pu se relever, par manque de forces. Quel désastre. L'opération était pour bientôt et il fallait que Jules y survive. Pour le bien de la science, ou de sa science du moins.

Il couru chercher ses collègues les plus proches, brancard et perfusion sous la main, pour enfin revenir sous la cacophonie des roulettes rouillées du brancard qui grinçaient. Quand le supplice sonore s'interrompit et qu'ils  s'immobilisèrent fébrilement devant la cellule de Jules, Viggs sortit ses clés de sa poche, la main tremblante. Il s'empressa de l'enfoncer dans la serrure et ouvrit la porte d'un geste brusque. Sans plus réfléchir, il entra dans la cage.

Il vint se saisir du bras gauche de Jules. Il n'eut pas le temps de la tirer vers le brancard que sa tête heurtait le sol dans un grand fracas. Tout se passa si vite sous les yeux mi-clos du docteur. Les internes tombaient un par un sous la force d'une ombre qui se mouvait à une vitesse impressionnante. Ce ne pouvait être Jules, elle n'aurait jamais eu la force de faire tant de dégâts sans sa poche de sang qui demeurait pleine sous le nez de Viggs. Pourtant, quand le massacre pris fin, et que plus aucun de ses collègue ne se tenait debout, l'ombre s'immobilisa juste devant lui.

C'était elle. Et à en juger par le sang qui s'écoulait de la gorge de plusieurs des internes, elle avait reprit toutes ses forces. Mais c'était impossible. Elle n'aurait jamais pu se relever, à moins que...

Jules souriait à plein visage, constatant l'ingéniosité dont elle avait fait preuve. Jamais elle n'avait autant apprécié boire le sang humain présent dans cette poche, plus tôt dans la journée, elle n'avait même pas eu mal quand elle dut sacrifier quelques centilitres de son propre sang pour re-remplir la poche et faire croire à une grève. On pourrait croire que ce sacrifice lui aurait couté la force qu'elle venait tout juste d'acquérir, mais le sang qui coulait dans ses veines n'avait plus les qualités qu'offrait le sang frais, et surtout le sang humain. C'était comme prendre trois bonbons à un gamin pour les échanger contre un vieux bout de sucre.

Elle s'approcha lentement du docteur, à présent écroulé dans la cage, là où s'était morfondu Jules pendant des jours. Elle émit un petit rire face à Viggs qui, terrorisé, se trouvait paralysé par l'angoisse. Il savait que la mort venait, seulement aujourd'hui elle ne portait pas de grande cape noire, ni de faux, mais une blouse blanche et un air carnassier. Elle se décida à lui adresser une dernière parole.

<<Ne t'inquiète pas, je n'vais pas te manger.>>
Elle fit une pause puis reprit.

<<Tu es avarié.>>

Elle se saisit d'un scalpel qu'elle avait trouvé plus tôt, pendant qu'elle relevait les infirmiers de leurs vies, et prit d'un geste ample les deux bras du docteur. Elle planta le scalpel profondément au niveau de l'intérieur du coude, et laissa la lame fendre la chaire jusqu'au poignet. Le sang qui s'en écoula était épais et sombre. Elle laissa Viggs se vider dans cette cage qui jusque là la tenait prisonnière, ferma la porte sans prendre la précaution de verrouiller la serrure, le sachant incapable de se relever. Maintenant lui aussi connaissait la sensation du manque de sang, la vitalité s'en allant à mesure que le sang coulait de ses plaies.

Elle avait tout de même prit la clé de Viggs, l'enfourna dans le verrou de la cage de son voisin qui n'avait rien dit pendant la scène. Sous ses yeux écarquillés elle ouvrit la porte. Il mit environ trois seconde à comprendre que la liberté l'attendait juste là, de l'autre côté de la cage, enfin à portée de main, après tous ses jours, et toute cette souffrance. D'abord il n'y cru pas, mais quand il fut de l'autre côté des barreaux, sa poitrine se souleva et il expira comme si c'était la première fois.

Il se tourna vers Jules, et elle comprit instantanément ses remerciements silencieux. Elle lui sourit. Il regarda avec appétit les cadavres étendus devant la cellule de Jules avec admiration. C'est là qu'il comprit à quel point il avait faim. Il passa sa langue sur ses lèvres sèches, et sans détourner le regard des corps froids, déclara:

<<Que la fête commence.>>



Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Sep 29, 2016 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

StainlessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant