Julie ouvrit les yeux sur un plafond blanc. Non, pas blanc. Nacre.
Elle s'étira tout en douceur, sentant ses vieux os craquer. Elle aimait beaucoup cette pièce. L'odeur qui s'en dégageait. La manière qu'avait la lumière de rentrer par les persiennes, étroitement ajustées. La lumière, parlons-en. Cette poche de sang qu'elle recevrais chaque jour devant sa porte, comme lui avait dit Evan, était sa seule force. Elle lui concédait une résistance partielle aux UV. Elle ne pouvait pas s'exposer complètement, pas encore. Elle était insugète aux gélules.
Elle se leva, avec toujours cette sensation d'étouffement qui lui engourdissait la gorge. Quand elle ouvrit sa porte, elle fut surprise de ne pas voir sa poche de sang, son petit déjeuner.
Elle descendit les marches de l'escalier en bois pour attérir au rez-de-chaussée. Elle entendit la porte du frigo s'ouvrir dans la cuisine, et s'y hâtta. Vous n'auriez pas pu entendre, vous seriez trop loin. Et trop humain aussi.
Tous ses sens s'étaient développé, de manière exponentielle. Pour être honnête, Julie ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose: et si il y avait des choses qu'elle ne voulait pas entendre, ou sentir? Elle savait que ça la rapprochait un peu plus de la nature, elle était en immersion totale dans l'univers, elle baignait dans les produits des hommes, elle sentait toutes les nuances et odeurs imaginables, elle entendait jusqu'à 2km à la ronde, et ça s'étendrait au fil du temps.
Elle entra dans la pièce et sans saluer Evan, l'interpela:
-Où est ma poche?
-Quand tu seras seule dans la nature, tu devras apprendre à te nourir. Personne ne te donnera de poche de sang tous les matins. Tant que tu es ici, les poches de sang sont réservées au soupers.
-On part à la chasse?
-Pas si vite. Tu dois te contenir, jamais un humain, d'accord?
-Mais si je trouve rien d'autre?
-Tu trouveras, tu es faite pour ça. Nous sommes des chasseurs, seulement comme tous les pacifistes, j'ai pris ma retraite.
-Alors, ça veut dire qu'à une époque, tu étais..
En effet, une vingtaine d'année plus tôt, Evan était un tueur de sang froid, et ça ne faisait pas parti de ses meilleurs souvenirs. Au lieu de s'étaler sur sa réponse, il abrégea:
-Oui, et je ne veux pas que ça t'arrive. On va contrôler ton régime. Dès que tu pourras prendre les gélules, tu cesseras de te nourrir de sang frais.
Julie ne voulait pas devenir une bête assoifée de sang. Seulement la moitié de sa volonté s'était éteinte au moment de sa mort.
-Dans combien de temps?
-Plus de 10jours.
Son air sérieux l'attristait. Elle devait se faire une raison, dix jours, c'était un délais trop court. Mais elle voulait rentrer chez elle, après seulement elle aviserait.
-Allons-y. déclara Evan.
Ils partirent 20min plus tard. Evan avait prit soin de donner lunettes de soleil et foulard à Julie, pour se protéger durant la route, du soleil qui tapait. Une fois arrivés aux bois, Julie pu tout enlever, et respirer un grand coup. L'ombre que lui procuraient ses grand pins était soulageante. Elle revécue cette scène pour la deuxième fois. Elle entendait tout ce qui l'entourait, sentais toutes ces odeurs fraîches de mousses, d'herbe, d'eau des rivières. Elle entendait les lapins courir, si loin étaient-ils, les oiseaux se poser sur les branches des arbres, le vent les bousculant. Seulement cette fois c'était différent. Zach n'était pas avec elle.
Les branches craquant sous les pieds d'Evan la ramenèrent à la réalité.
-Bien, on va commencer doucement, essaie... Un poisson.
-...Un poisson?
Il hôcha la tête en acquiesçant.
-Mais c'est pas de la viande?
-C'est du sang, en petite quantité, certes, mais ça te conviendras bien.
-D'accord.
Elle s'approcha de l'étang et mit les pieds dans l'eau. Elle frissonna quand elle se rendit compte de la froideur de l'eau, mais elle aimait ça. C'était plus frais que froid. Pour elle en tout cas.
Elle se pencha, et observa ce qui se passait sous l'eau. Si vous aviez fait la même chose, les poissons se seraient écartés de vous, car ils auraient eut peur. Mais avec Julie, ce ne fût pas le cas. Elle faisait à présent partie intégrante de la nature et de cet environnement. Les poissons ne l'auraient même pas vu. Si elle avait été un peu plus habile dans ses mouvements. Quand elle plongea les avant-bras dans l'eau, à l'impact brusque de ses poings, tous les poissons s'éloignèrent, pour revenir quelques instants plus tard.
Pendant tout ce temps, Evan l'observait. Elle rata plusieurs fois. Mais elle ne se décourageait pas. On lui avait dit quand elle était plus jeune, <<c'est en tombant qu'on se relève mieux>>. Certes, l'erreur était humaine, mais Julie ne l'était plus. En y pensant, elle sourit, amusée. Elle fût tellement fière et contente quand elle attrapa son premier poisson. Evan avait sourit, c'était un bon début.
Après avoir vidé le poisson (de son sang bien sûr), Julie et Evan revinrent à la maison. Sur le chemin, à travers ses lunettes de soleil, Julie prit le temps d'admirer les alentours, les jolis lotissements russes étaient vraiment bien aménagés. Les jardins étaient entretenus d'une manière particulière mais le rendu était magnifique. Elle aimait s'imaginer l'allure des bâtisses sous la neige en hiver, peut-être les verrait-elle d'elle-même un jour. Elle ne resterait pas jusque l'hiver prochain, elle le savait.
Le soir, Evan essaya d'habituer dès maintenant Julie aux alcools légers. Elle ne put même pas boire une bière. Ils n'avaient pas tant discuté, et pendant que Julie monta se coucher, Evan resta sur le canapé devant la télé. Plus tard, en voulant aller à la salle de bain, Julie trouva une poche de sang au pied de sa porte. Elle sourit face à la gentillesse de son hôte, et but la poche avant d'aller se brosser les dents.
Il ne faut pas croire ce qu'on dit, les vampires dorment, et quand ils le veulent. Pour sa première journée, Julie réalisa qu'elle avait été plus joyeuse qu'en deuil, et la culpabilité refit surface. Elle était sensée s'en vouloir selon elle, pas aller à la pêche. Plutôt que de se morfondre, elle préféra repenser à tous es souvenirs joyeux qu'elle gardait dans un coin de sa tête. Elle repensa à ces après-midis passés à la cascade avec Zach. Il lui manquait tellement. Penser à son sourir la réchauffait.
Ses yeux demeuraient fermés, et versèrent chacun une larme avant qu'elle ne s'endorme, paisible.
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