Ethan, choqué par la froideur de la détenue, baissa la tête, empli de déception et d'amertume. Sans mot dire, il partit.
Jules savait où il fallait creuser pour sortir d'ici, Ethan serait le plus rapide à flancher, et il fallait agir rapidement. Elle commençait à ressentir les effets indésirables d'une faim atroce.
Ethan, de son côté, avait beaucoup pensé. Ce n'était pas la fin de Jules, celle qu'il connaissait. Il voulait à tout prix trouver une solution. Il en avait parlé à Charles.
<<Et tu n'pourrais pas la contraindre à redevenir comme elle était avant?
-Si dans son fort intérieur elle est contre l'idée alors ça n'y fera rien. Sans sa coopération et sa volonté, on ne peut pas l'aider, mon ami.>>
Ils étaient déçus, l'un comme l'autre, de cette triste conclusion.
Elle avait cogné contre les barreaux de la porte toute la nuit, s'était arrêté pendant quelques heures durant le jour suivant, certainement pour dormir, et reprit de plus belle. Charles, ne supportant l'écho du bruit du fer qu'on assomme à répétition, était allé dans une pièce bien plus retirée dans sa vaste propriété. Ethan, quant à lui, était resté non-loin du dôme de lumière que lui seul ici bas ne craignait pas.
<<Aller, Ethan, ouvre-moi!>>
Elle avait supplié, alternant rage et rire hystérique. Ethan était profondément choqué. Qui était-elle?
Ce n'est que plus tard que Jules comprit ce qui se passait dans sa tête. Elle cessa de cogner contre la porte. Ses forces commençaient à diminuer dangereusement. Elle n'avait toujours rien avalé. Elle laissa tomber ses bras sur ses côtés et s'affala contre la porte. Ethan s'inquiéta soudain du silence. Il alla se poster devant la porte.
<<Jules?>>
Dans un premier temps il n'entendit rien. Il s'approcha de l'ouverture et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Ce qu'il vit le surpris. Elle était assise, les genoux ramenés contre son buste. Elle leva la tête pour le regarder. Elle était beaucoup plus pâle que d'habitude, silencieuse, un air triste et douloureux sur le visage.
<<J'ai faim.>>
Elle lui faisait pitié. Il prit peine d'elle et soupira lourdement.
<<S'il-te-plait, Jules, tu dois prendre ce qu'on te donne.
-J'me sens faible Ethan, j'aime pas ça..>>
Elle se rattachait à lui, lentement. Ethan vit comme une lueur d'espoir dans la nuit qui venait tout juste de tomber.
<<Je me contenterais de vos gélules, mais par pitié Ethan, aide moi.>>
Ses derniers mots firent trembler tout son corps. Il s'érigeait ici en figure de tyran, torturant la pauvre jeune-femme. Il ne pouvais plus supporter son regard si vert, si intense qui le brûlait, le fixant droit dans les yeux. Il partit puis revint en hâte avec deux gélules dans la main. Quand Jules le vit arriver, elle ne put s'empêcher de sourire, même si elle avait terriblement mal aux poignets.
<<On va réussir à te soigner, Jules.>>
Il ouvrit la porte, puis fit un pas vers elle. Ce fut seulement à cet instant qu'il baissa les yeux vers ses mains. Elles étaient complètement désarticulées et pleines de bleus. Elles n'étaient plus attachées. Il n'eut pas le temps de relever la tête que Jules le chargea de toutes ses forces contre le mur à sa droite. La puissance surnaturelle de son coup le sonna. Il glissa le long du mur pour s'écrouler au sol, inconscient. Un faible rictus s'afficha sur le visage de Jules. Jackpot. Elle avait joué sa carte maîtresse. Elle était une si bonne actrice parfois. Elle avait faim, mal au mains, mais elle ne tarderait pas à guérir et à se nourrir.
Avant que Charles ne puisse s'apercevoir de sa fuite elle fila.
Elle couru d'un pas boiteux jusqu'au centre de la ville qu'elle avait tant aimé, et, s'engouffra dans la première ruelle à l'abri des regards. Elle attendit telle un prédateur en pleine jungle guettant sa proie, prête à bondir. Quelques minutes plus tard, un jeune couple passa. Ils s'enfoncèrent dans la ruelle, ardents de désir l'un pour l'autre, s'embrassant fougueusement dans la moiteur de la soirée. Jules attendit qu'ils s'approchent d'elle. Elle sentait sa gorge appeler leur sang avec passion. Elle allait céder. Le couple s'approcha de trop près, là où l'ombre la cachait. Elle n'eut qu'à attraper leurs bras entrelacés puis à déchiqueter leurs gorges pour éviter un bazar majeur. Pas de cris, pas de bruis, juste quelques gouttes de sang par terre. Elle ressentit un plaisir extrême. Leur sang sucré était autre que le sang acide et plat des victimes paniquant et vociférant. Ce fut ce soir-là que Jules comprit que le sang pouvait avoir des gouts différents.
Requinquée, elle guérit instantanément. Elle couru jusqu'à sa voiture, gardant bien en tête que Charles connaissait parfaitement les lieux, et Ethan étant humain, il pourrait la traquer de jour comme de nuit. Il lui fallait fuir.
Elle commençait à aimer ça, rouler pendant des heures, à écouter la radio et faire des poses casse-croute à chaque endroit où la civilisation se regroupait. Cependant, pendant toute ses heures de route, elle comprit quelque chose. Elle n'avait plus personne sur qui compter, et encore moins avec qui s'amuser. Il fallait qu'elle se trouve un peu de compagnie.
Elle se lança donc dans une longue chasse au trésor, qui durera des semaines entières. Bien sur, elle chercha d'abord des gens comme elle: mais les vampires n'étaient pas réputés pour avoir une adresse bien connue. Elle arpenta chaque ruelle sombre de chaque ville, sans jamais trouver personne. Pendant ce temps, elle réfléchissait à la manière dont elle s'y prendrait. Qui séduirait-elle? Il lui fallait quelqu'un de compatible, un bon-vivant qui aimait rire.
Sa petite chasse dura presque trois mois. Elle ne perdit jamais patience. Seulement elle n'était jamais bien prudente, se nourrissant sans scrupule, utilisant l'art de la mémoire que lui avait enseigné Charles pour faire oublier aux malheureux témoins qu'elle ne se sentait pas de manger. Leur réactions étaient quelque chose qui amusait fortement Jules: lorsque quelqu'un la surprenait en train de se nourrir, chacun avait sa manière de réagir, cris, larmes, stupéfaction ou grande torpeur, jamais deux émotions identiques. Jules s'était découvert un nouveau passe-temps. Elle aimait qu'on la regarde pendant l'acte. Elle y prenait un immense plaisir. Quand elle eut finit, elle y mettait fin en manipulant la mémoire du témoin, ou en le mangeant lui aussi, si elle avait encore faim.
Seulement, un jour cette prudence lui fit faute.
Elle était dans une petite ville d'Alabama, quelques heures avant le lever du soleil. Elle avait suivit ses victimes jusqu'à la lisière du bois. L'épais manteau d'arbres et de végétation faisait écran à la lumière des feux de voitures. Elle attira la malheureuse famille jusqu'à sa cachette, là où elle s'était tapie dans l'ombre. Ce fut un carnage. Depuis tout ce temps, Jules avait perdu l'envie de faire les choses proprement, elle laissait libre court à ses pulsions, laissant derrière elle de véritables bains de sang, jonchés de morceaux de cadavres. Elle était devenue accroc aux cris désespérés, aux visages noyés par les larmes. Ce soir là avait été la première fois qu'elle s'était nourrie d'une enfant. Elle y trouva un goût nouveau, plus fin, enhivrant, et terriblement addictif. Cependant, elle avait un respect pour le cadavre de l'enfant qu'elle n'eut pas avec ceux des parents. Elle l'avait posé par terre, les yeux clos, et l'eut recouvert de son petit plaid que la petite portait sur le dos quand Jules les traquait. Seule la tête était decouverte, on aurait pût croire qu'elle dormait simplement.
Elle regarda une dernière fois la scène sanglante, avant de se retourner pour partir. Ce jour là, elle ne fut plus maître de sa destination.
<<Bonsoir.>>
À peine avait-elle vu l'homme qui se tenait derrière elle, que l'arme à feu qu'il tenait droit devant lui libéra un projectile rapide comme la mort, qui vint se loger dans l'épaule de Jules. Un puissant tranquillisant se libera du bec de la petite flèche et Jules se sentit lourde, puis tomba lourdement au sol, telle une masse liquide qui s'affaisse.
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