Chapitre 23

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Victoria

S'il est vrai qu'un des hommes du chef de la mafia était en train d'attendre devant la porte de mon appartement, il a quitté les lieux depuis mon arrivée tardive.

Il a dû en avoir marre, j'en suis certaine. Après tout, peu de personnes aurait eu la patience d'attendre dix heures quelqu'un, debout comme un piquet. Les gens ont une vie à vivre, et des rêves à réaliser.

Insérant la clé dans la serrure à moitié cassée de mon appartement, je parviens à l'aide d'une main maladroite à sortir en même temps mon téléphone et rappelle le dernier numéro inconnu. Après plusieurs secondes d'attente, on décroche enfin :

- J'espère que ta journée s'est bien passée, entame directement Hernandez.

- Parfaitement, lui réponds-je du tac au tac. Et donc, pour mon déménagement ?

- Je t'écoute.
Sans blague.

- Tu as renvoyé ton homme chez toi ? Il n'y a personne ici. Comment vais-je faire pour porter mes cartons et venir ? relevé-je en jetant mes clés sur la table basse, avant de poser mon cabas et de retirer mes tongs.

Ah ! Mes voûtes plantaires revivent enfin.

- Ce n'est pas comme si tu en avais beaucoup, de toute façon, me fait-il remarquer. Emballe tes trois culottes et prends ta bagnole. Tu n'avais qu'à respecter mon emploi du temps.

Pourquoi est-il si dur, tout à coup ? Est-il en colère parce que je ne l'ai pas écouté ? Frustré de ne pas s'être fait obéir au doigt et à l'œil comme il en a si bien l'habitude ?

- Nom d'un chien, tu es pas croyable, Hero, lui assuré-je en tentant de garder mon calme, filant vers la salle de bain, et laissant tomber sur mon chemin des tonnes de grains de sable.

Je ne laisserai personne gâcher cette journée. Encore une fois, Victoria : personne ne gâchera cette journée.

- Hero ? s'étonne ce dernier, surpris par le fait que, pour la première fois, je l'appelle par son prénom. J'aime entendre mon nom sortir de ta bouche.

- C'est la dernière fois, m'empressé-je de dire, avant d'appuyer sur le bouton rouge au bas de mon écran, coupant notre appel et le gloussement énervant de Hernandez.

Quel lourdaud, celui-là.

Ce n'est pas comme si je l'avais appelé "mon amour" ou "chéri". Et puis, si on nous a donné un prénom à notre naissance, c'est bien pour que les autres s'en servent. Je ne vois pas pourquoi il en fait tout un plat tout d'un coup.

De la même manière que je décollerais une limace de ma peau, je me débarrasse de mes vêtements à la senteur amère de la plage avant de sauter dans la douche. En tournant la valve d'eau chaude, j'entame par la même occasion ma prière.

S'il vous plaît, faites qu'il y a de l'eau chaude aujourd'hui. Juste cinq minutes.
Cinq. Malheureuses. Minutes.

Des gouttelettes, se transformant progressivement en jets d'eau commencent à couler. Pleine d'espoirs et hésitante,  je passe ma main sous le liquide. Grazie Dio. Elle est chaude.

Ça fait du bien, soufflé-je, noyant mon visage.

Parfois, c'est lorsque nous faisons les choses les plus basiques qui rapportent le plus de bonheur au cœur et à l'âme, exactement comme en ce moment : moi, toute nue, dans la douche, de l'eau chaude ruisselant le long de mon corp, en train de m'imaginer donner une troisième tournée mondiale en Asie.

Attrapant le pommeau de douche à la façon d'un microphone, je beugle d'une voix aussi harmonieuse que celle d'une vache enrhumée :

Oh, one look and I know it, baby, my eyes reveal
That you, you, you give me the fee- Ah !

Et je glisse sur ma bouteille de shampoing, m'entraînant, les fesses les premières, tout droit vers le carrelage du sol, à présent inondé d'eau.

Quelle vie de merde ! J'avais pourtant crû qu'aujourd'hui serait un jour de paix.

Une violente douleur m'assaille le coccyx, m'empêchant de me relever. Même si je sais que mon postérieur a pu amortir ma chute, cela ne l'a rend pas moins atroce.

Toutefois, l'eau continuant de jaillir du pommeau me donne la force nécessaire de me pencher pour la couper. Avant de complètement me remettre au sol, j'attrape à la volée mon téléphone posé sur le lavabo.

Heureusement, ma salle de bain ne fait pas plus de cinq mètres carré.

En vitesse, je déverrouille mon smartphone et compose le numéro de ma mère. Pas le moindre étonnée, je tombe sur sa messagerie. Elle doit être au cimetière avec Papa.

Soufflant un bon coup, je compose cette fois-ci le numéro d'Alessandro. Pitié.

- Ouaip' ma poule ? j'entends une voix forte chantonner.

- Al, il faut que tu m'aide, débité-je d'un ton paniqué.

- Tu veux dire maintenant ?

- Non, dans trois heures. Oui ! Maintenant ! m'écrié-je, encore sous le choc de la chute. Je me suis ramassée la face dans la douche et je n'arrive pas à bouger. Je crois que j'ai le coccyx fracturé.

- Attends. Est-ce que t'es en train de me dire que t'es par terre les fesses à l'air, là ? se moque-t-il en ricanant comme un diable.

- Viens m'aider espèce d'idiot ! Mes clés de secours sont sous le paillasson !

- Vic, tu vas me détester, mais je suis actuellement indisponible, débute-il avant de crier à quelqu'un de se la fermer et d'aller jouer dans sa chambre. Je suis chez ma soeur en train de garder Lilio. Mais ne t'en fais pas ! Je t'envoie quelqu'un tout de suite !

- Alessandro ! Je suis à poil, putin !

Je sais que cela devrait être le dernier de mes soucis mais je n'y peux rien. Être pudique, ça craint.

- Encore mieux ! Bisous, je t'aime ! s'empresse mon faux meilleur ami avant de raccrocher.

Bon. Et bien, je crois que c'est la fin pour moi. Je n'ai plus qu'à attendre que quelqu'un vienne me secourir. 
Je n'ai même pas la force d'attraper mon peignoir suspendu à la porte pour l'accueillir décemment.

C'est officiel. Ce début de journée est gâché.

𝐅𝐥𝐞𝐮𝐫𝐬 𝐝'𝐄𝐬𝐩𝐨𝐢𝐫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant