𝐛𝐥𝐚𝐜𝐤 𝐬𝐰𝐚𝐧 ℎ𝑜𝑝𝑒𝑚𝑖𝑛

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒

Hoseok et Taehyung avaient marché longuement dans la forêt. Ils avaient rencontré une biche sur leur chemin. Plutôt vive, elle s'était enfuie à toute jambe sitôt qu'elle les avait aperçus. Encore un repas qui leur passait sous le nez. À leur place, Namjoon ne se serait pas fait prier. Le chef de clan avait une haine maladive envers les créatures. Il était pourtant averti de chaque règle imposée par les sorciers. Toutefois, cela ne l'empêchait pas d'y déroger quand l'envie se faisait sentir. Malheureusement pour lui, il n'était qu'un piètre chasseur. Il manquait toujours sa cible. Il était bien trop impatient pour une telle pratique. Hoseok était le seul membre capable de patienter une journée entière au même endroit, sans bouger, en l'attente d'une proie à abattre, et ce, par tous les temps.

Le clair de lune se fit bientôt surpasser par la lumière mouvante émise par les flammes du feu de camp. Elles s'élevaient et s'abaissaient à un rythme frénétique. Les ombres sur les troncs s'assimilaient à des esprits malins, qui planaient au-dessus des têtes, annonçant un mauvais présage. Les deux frères atteignirent finalement le campement : un petit coin encerclé de conifères, une forteresse végétale qui protégeait trois tentes en toile de jute, disposées dans une ronde. Au centre, le feu de camp crépitait. Il était entretenu par Yoongi, qui remuait les braises à l'aide d'un long bâton. Les bûches craquaient sous la chaleur étouffante. La fumée s'échappait au loin, dans les airs.

Yoongi n'était pas loin de la trentaine. Cela ne faisait pas si longtemps qu'il venait d'intégrer le clan. Il était clandestin. À la fin de la guerre, il avait erré auprès de différents clans, dans le but d'y faire un jour sa place. Hoseok s'était toujours méfié de lui. Il n'était pas convaincu que Yoongi eût grandi parmi les hommes durant son enfance. Sa peau semblait avoir été épargnée par les rites ancestraux et ne faisait preuve d'aucun signe d'appartenance à un clan humain. Namjoon fut celui à être tombé sur lui alors qu'il était tout assoiffé, les bras tendus vers l'eau du lac. Yoongi lui avait imploré son aide. Le chef avait su faire preuve de clémence et l'avait mis à l'essai durant plusieurs semaines. Yoongi avait dû faire ses preuves et avait accompli diverses tâches servant à la survie de leur clan. Il avait ramassé du bois, était parti chasser avec Hoseok, avait rapporté de l'eau, avait cueilli des fruits et des plantes médicinales. Son dur labeur avait fini par s'en voir récompensé. Yoongi avait gagné la confiance du chef. Il avait su faire sa place parmi les membres et était même devenu rapidement le bras droit de Namjoon, au plus grand déplaisir de Hoseok qui se savait surveillé dès lors qu'il s'absentait trop longtemps.

Yoongi n'était pas bien grand. Ses yeux étaient aussi noirs que ses cheveux ondulés. Il avait un air sournois, un sourire en coin qui se révélait n'être autre qu'un toc intempestif. Il favorisait des tenues sombres et monochromes. De quoi passer inaperçu. En effet, il savait se faire discret, ou même agir seul, bien qu'il exauçât le moindre souhait émis par Namjoon. Il ne parlait pas beaucoup. Il ne portait aucun bijou. Ses membres et son visage ne comportaient aucune cicatrice, à se demander quel rôle il avait pu jouer durant la guerre. 

Alors que Hoseok se débarrassait de ses effets de chasse, il aperçut Namjoon revenir, lui aussi, bredouille. Malgré des efforts fournis pour alimenter son clan, ils n'avaient pas payé. Sa fureur en fut attisée. Hoseok le savait : le chef serait exécrable jusqu'à ce qu'il ne parvînt enfin à se mettre quelque chose sous la dent. En outre un caractère ravageur, Namjoon arborait une disgracieuse balafre sur son œil droit, souvenir de son passé de soldat. Il avait été envoyé au combat en dépit de son jeune âge. Sa hargne et sa motivation à éliminer les créatures furent suffisantes pour intégrer un régiment. Il avait vu la mort de près, et la défaite l'avait fait crouler en enfer. Un peu plus et il y laissait son œil. Un œil couleur de glace, capable de pétrifier quiconque oserait croiser son regard. Il avait le teint livide, des cheveux ternes qui cachaient en une mèche sa blessure au visage. Il portait de nombreux tatouages éparpillés un peu partout sur son corps. Ces symboles, qu'il portait fièrement, représentaient ses liens familiaux et son appartenance à un clan. Ils étaient recouverts d'un uniforme de guerre : un ensemble en cuir sombre capable de cueillir le poids des armes sans s'en retrouver transpercé. À ses pieds, des bottines noires, robustes, devenues poussiéreuses avec le temps. Et autour de son cou, siégeaient des rangées de chaînes épaisses, qui indiquait son rang de chef de clan.

— Hoseok, dit Namjoon sur un ton sévère.

Il venait de s'asseoir sur une bûche posée près du feu. Il avait fait signe à Hoseok de s'approcher. Ce dernier envoya son frère se coucher en lui donnant une petite tape sur l'épaule. Taehyung ne rechigna pas. Il savait ce que cela signifiait et partit donc se réfugier sous la tente. Quant à Hoseok, il alla rejoindre son chef et prit place devant les flammes.

— Tu n'as encore rien trouvé ? l'interrogea-t-il.

— Rien, admit Hoseok. La faune est grandissante, au bon vouloir des créatures, mais elle est encore trop jeune pour nous laisser un peu de charogne de côté.

— C'est pitoyable ! rugit Namjoon. À ce rythme, nous allons tous crever. Ces salopards ! Je n'ai qu'une seule envie, c'est de les éliminer les uns après les autres et de les voir agoniser sous la lame de mon couteau.

— À quoi bon, murmura Hoseok.

Hoseok venait d'énoncer ses pensées tout haut. Il avait manqué de vigilance. La faim rendait ses actions irraisonnées. Namjoon, d'un geste vif, l'attrapa par le col.

— À quoi bon ? répéta-t-il avec colère. Si ces maudits sorciers éprouvaient ne serait-ce qu'un peu de pitié, ils nous laisseraient tuer du gibier au moins une fois dans l'année ! L'exil n'est pas pour nous épargner. Au contraire. Ils doivent jubiler à l'heure qu'il est. Nous sommes en train de nous décimer. Peut-être même qu'ils attendent le jour où nous allons commencer à nous entretuer pour manger notre propre chair !

Namjoon lâcha le col de Hoseok qui se maudissait de l'intérieur. Il comptait bien tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de s'exprimer à nouveau.

— On ne tiendra plus longtemps en vivant cette vie de misère, affirma Namjoon. Nous devons agir. Ils finiront bien un jour par regretter de nous avoir puni de la sorte. Notre vengeance sera terrible.

Yoongi demeurait silencieux. Il se contentait d'accomplir la tâche à laquelle il était assigné, mais il gardait une oreille attentive. À l'annonce du chef, un sourire mesquin prit place au coin de ses lèvres.

— C'est insensé, rétorqua Hoseok.

— Pourquoi ce le serait ? Tu espères toujours que les sorciers allégeront notre peine ? Ne me fais pas rire !

— Viendra bien un jour où nous serons récompensés pour nos sacrifices, si tant est que les clans humains cessent leurs attaques, tenta-t-il de le dissuader.

— Alors c'est tout ce que tu comptes offrir à ton frère ? C'est donc là tout l'avenir que tu lui souhaites ?

Hoseok baissa la tête.

— Les créatures n'ont jamais été aussi faibles qu'aujourd'hui, poursuivit Namjoon. Nous serions bien bêtes de ne pas en profiter.

— Notre peuple ne s'en porte pas mieux, lui rappela Hoseok.

— Écoute-moi bien, lui pria-t-il. Même si nous sommes faibles, nous avons encore notre dignité. Aujourd'hui, les vampires sont asservis par les sorciers. Ils en sont pratiquement réduits à l'esclavage. Et les sorciers ont perdu de leur splendeur. Les plus grands et les plus puissants d'entre eux sont morts sans même avoir pu transmettre leurs secrets aux jeunes générations. Les créatures s'affaiblissent de jour en jour, tandis que nous devenons plus robustes. Nous nous sommes adaptés à la nature. Nos sens se sont développés. Nos corps sont devenus plus résistants. Nous savons fabriquer des armes, nous défendre, attaquer et contre-attaquer. Sans le savoir, les créatures sont en train de former des armées qui bientôt seront capables de les évincer.

Le regard de Namjoon s'était posé sur Hoseok, persistant. Une veine qui descendait dans son cou palpitait d'excitation.

— Je peux te promettre une chose, Hoseok, c'est qu'un jour, nous les vaincrons. Il nous faut cependant trouver la faille qui les nuira à jamais.

Quand le ventre de Namjoon grognait, il faisait ressortir son envie dévorante de pouvoir. Il était presque impossible de lui faire entendre. Et même si des dizaines et des dizaines de clans humains avaient déjà été éliminés alors qu'ils avaient suivi ce même désir de reconquête, cela ne semblait pouvoir dissuader Namjoon.

— Nous leur ferons regretter tout ce qu'ils nous ont fait, déclara Namjoon.

— Ils ne paient rien pour attendre, soutint Yoongi.