Jimin avait bravé la pluie, le froid et la nuit pour se rendre à la sortie de la ville. Le bus l'avait déposé au dernier arrêt. Et malgré le danger qui rôdait à l'orée des bois, cela ne l'empêchait pas de longer la rivière Han en toute sérénité. Il en avait l'habitude : il parcourait ce chemin toutes les semaines, si ce n'était plus.
Dans un petit coin bien caché, aux abords de la forêt, se trouvait une petite bâtisse, toute de verre et de bois. Elle semblait à l'abandon. C'est-à-dire qu'il était rare de trouver une quelconque trace d'habitation dans les parages. Depuis la guerre, les créatures s'étaient réfugiées à Sungye et n'osaient plus franchir ses frontières, si ce n'étaient pour quelques rares exceptions. Cela facilitait bien la tâche aux vampires qui veillaient à la sécurité des sorciers. S'il venait à arriver malheur à des imprudents, ces derniers ne pourraient en vouloir qu'à eux-mêmes.
Jimin, trempé de la tête aux pieds, pénétra la petite bicoque. Il ne s'agissait autre que de son atelier. Il s'y rendait pour y travailler. C'était également comme un refuge, dès lors que la réalité lui paraissait trop difficile à endurer. Un frisson parcourut soudain son échine. Ses chaussures ôtées, ses pieds foulèrent sur des schémas et des pages remplies de lettres manuscrites qui jonchaient le parquet. Il quitta la petite entrée et traversa son bureau pour joindre une chambre qui donnait sur une salle de bain minuscule. Seule une personne pouvait y entrer à la fois afin d'être capable de circuler entre les diverses commodités. Quoique même en retirant ses vêtements, les coudes de Jimin venaient parfois cogner la paroi de la douche ou encore le meuble où étaient rangées toutes ses affaires de toilette. Jimin se précipita, tout grelottant, sous l'eau bouillante de la douche pour ensuite se pelotonner dans un pyjama bien chaud. Enfin, il fut prêt pour en retourner à ses études. Mais avant cela, il passa à nouveau par le bureau pour se diriger vers une petite pièce qui se trouvait dans le renfoncement d'un mur. À cet endroit, se trouvait une kitchenette, elle aussi de taille modeste. Elle restait toutefois fonctionnelle, bien que rudimentaire, tout enduite de carreaux de carrelage crème vieillissants. Jimin pouvait s'y préparer quelques encas lors d'une pause bien méritée après des heures et des heures à se triturer les méninges. Il y prépara son repas et une tasse de thé fumante qu'il amena à son bureau (il travaillait souvent en mangeant).
Il était difficile de croire que quelqu'un pouvait penser entre ces murs, tant tout était sens dessus dessous. Il devait y avoir autant de livres dans les bibliothèques – qui recouvraient deux pans de mur entiers – que sur le bureau, sur le haut des commodes ou encore le sol dont la couleur se devinait à peine. La plupart dégorgeaient de repaires colorés et d'annotations. En outre son espace de travail qui croulait sous ses recherches, Jimin avait constitué comme une sorte de cabinet de curiosités, composé de divers objets appartenant autrefois à des humains. Parmi eux, se trouvaient notamment des instruments scientifiques, des armes abandonnées sur le champ de bataille, d'anciens jeux de société, des instruments de musique, des ossements plutôt bien conservés, des bijoux, ou encore de la vaisselle. Des reliques auxquelles Jimin accordait une importance particulière. Ici et là se trouvaient également entreposées des maquettes qu'il avait construites lui-même, reconstituant les anciennes occupations humaines.
L'atelier était l'endroit où Jimin se sentait le plus à son aise. Seul, entre deux courants de pensée, proche de ceux qui captaient son plus grand intérêt. Une proximité qui n'était pas faite pour rassurer ses amis. En effet, en plus de se trouver si près des bois, son obsession pour l'homme faisait émerger bon nombre d'inquiétudes. Jimin prenait des risques considérables. Et même si les vampires ne se trouvaient jamais bien loin, le danger rôdait. Il ne fut pas faute de lui faire entendre raison. Jimin était plutôt têtu. Ses études comptaient bien trop à ses yeux pour qu'il abandonnât des années et des années de recherches intempestives.
L'homme était sujet à contrariétés. Il avait provoqué le désintérêt et le désenchantement des créatures. C'était ce qui attisait la curiosité de Jimin. Il désirait en connaître les raisons les plus profondes et les plus cachées, qui en résultait d'une telle aversion. Les hommes étaient dotés d'innombrables défauts. Ces défauts ne valaient pourtant pas un tel manque de reconnaissance envers cette race qui ne détenait plus même son droit d'exister. Jimin demeurait néanmoins l'un des rares sorciers à penser de la sorte. Cela ne l'avait pas découragé pour autant. Il pouvait passer des jours et des nuits entières à se pencher sur la question. Ses plus grandes préoccupations étaient l'homme en tant qu'individu, ses comportements et ses actions au sein d'un groupe. Il s'était intéressé à découvrir leur anatomie, leur morphologie, leur culture, leurs croyances, en passant par la linguistique, ou à une hypothétique psychologie propre à l'homme. Des sujets des plus passionnants, qui allaient à la suite d'une problématique qui le terrifiait : celle de l'extinction humaine. Plus le temps passait, et plus les hommes se décimaient. Selon les derniers rapports des vampires, rares sont les groupes d'humains qui bordaient la rivière. Ils avaient migré près du lac, loin de toute civilité. Les membres diminuaient. Les reproductions étaient quasi nulles. La mortalité infantile avait monté en flèche. Les chiffres étaient méconnus, mais les constats en demeuraient inquiétants.
L'anthropologue ne laissait aucun détail lui échapper. Il souhaitait se trouver le plus proche possible de cette civilisation. Il parcourait les archives produites par les hommes qu'il avait pu sauver. Il ressentait le devoir de protéger les mémoires de ces êtres qui peuplaient toujours la Terre. Mais en plus de ça, il y voyait une nécessité de transmission pour les générations futures qui ne pouvaient vivre dans l'ignorance. Seulement, bien qu'il eût acquis de fortes connaissances en la matière, elles ne lui permettaient pas d'en vivre. Quand Jimin ne se trouvait pas dans son atelier ou à L'Antique en bonne compagnie, il occupait un poste à l'Université de Sungye. Bien qu'il se fît moquer par ses collègues et représentants, qui croyaient dur comme fer à l'inutilité de ses efforts pour faire entendre ses idées, il était de loin le seul capable d'enseigner sa matière, grâce à son savoir aiguisé sur l'Histoire de l'homme et l'évolution des espèces à travers les âges.
Jimin ne se décrivait pas particulièrement pédagogue. Sans doute y avait-il meilleur professeur que lui. Il n'en doutait pas un seul instant. Les Instituts ne voulaient pas de ses théories. L'ouvrage qu'il écrivait n'intéressait aucun éditeur. Pourtant, les créatures se devaient de connaître les raisons d'une telle configuration sociale, comme cela pouvait être le cas pour la littérature ou les mathématiques. Seul Jimin était en mesure d'enseigner un pareil sujet. Par ailleurs, il était souvent envoyé dans d'autres régions de la contrée pour réaliser des conférences. Il était plutôt bon orateur. Souvent accueilli avec réserve, il parvenait toutefois à titiller un bref sentiment de curiosité chez ses interlocuteurs. Ses élèves ne demeuraient pas plus passionnés par ce sujet au point de le choisir comme le cœur de leur thèse. La magie et le vampirisme détenaient un succès bien plus considérable. Fort heureusement, Jimin n'enseignait pas l'art de contrôler les éléments. Pour un sorcier, il ne s'était jamais montré très assidu quant à l'apprentissage de telles pratiques, au grand désespoir de ses enseignants. Wendy avait été la dernière à vouloir lui inculquer même les sortilèges les plus simples. Ce fut sans succès. Jimin n'avait jamais cru en la magie. Sa famille ne prit pas cela pour un affront comme il aurait pu en convenir. Bien au contraire, ses parents comprenaient son avis sur la question. Et n'étant pas en accord avec la Congrégation des sorciers pour avoir pris la décision de diviser hommes et créatures, ils avaient préféré s'éloigner de la contrée de Nongye et fuir ainsi les conflits. Jimin aurait pu les suivre, mais il avait été contraint par le travail. Il était donc resté dans sa ville natale, auprès de ses amis. Il avait cependant tiré un trait définitif sur la magie. Ce choix ne fut pas sans avoir éveillé la colère de Seulgi.
— Tu n'as pas honte, Jimin ? avait-elle hurlé. Faire un tel affront à ta famille ! La magie est un don. Tu ne devrais pas l'ignorer.
Jimin ne s'y accordait pas. En outre la magie blanche, les maléfices n'était une réponse à aucune problématique. La magie pouvait produire des choses terribles, aux conséquences probablement plus tragiques que celles qui en résultaient de l'ignorance des hommes. Jimin ne céderait pas, malgré toute la pression qui se trouvait sur ses épaules. Il comptait bien faire entendre la vérité sur ce peuple qui souffrait en silence. Il tenait à faire voir tous les dégâts causés par de multiples sorts et incantations. Et au-delà de son animosité, se trouvait l'espoir. L'espoir qu'un jour, hommes et créatures pussent cohabiter à nouveau.
VOUS LISEZ
𝐛𝐥𝐚𝐜𝐤 𝐬𝐰𝐚𝐧 ℎ𝑜𝑝𝑒𝑚𝑖𝑛
Fiksi PenggemarFuir. Jimin ressent cette envie irrépressible constamment. Il s'éloigne de la ville de Sungye et longe dangereusement la rivière Han, frontière de l'entre deux mondes. Par-delà les eaux se trouve la forêt interdite. Nulle créature n'est priée de s'y...