Chapitre 43

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Kal marchait dans la forêt, évitant les racines, suivant des ruisseaux, songeant à Écho, tout en persévérant à l’Est, là où Kal foulera à nouveau ce sol sacré. L’air environnant l’apaisait, lui rappelant ses souvenirs d’enfant et la chaleur de son foyer, qu’il avait quitté bien brutalement il y a de cela trois ans. Plus il avançait parmi les arbres, tout en descendant sur une zone privée de hauteur, plus son cœur se serrait. Revenir ici, sans pour autant revenir sur les lieux de cette foutue nuit demeurait déjà une épreuve difficile, qui désignait encore la perspicacité de Lélia… Alors, même si pour lui, se l’avouer était compliqué, il fallait bien reconnaître que la femme avait eu raison en lui interdisant de remettre les pieds sur cette zone, avant son émancipation, avant qu’il eut acquérit un objectif qui le tirerait vers le haut, quoi qu’il adviendrait.
    La pente s’amenuisa, pour permettre à Kal de trouver un sol plat, guidé par un chemin de terre humide aux senteurs variées, qui mémorisait la forme de ses pas. Il connaissait ce chemin. Il ne le connaissait que trop bien. Au bout de quelques pas, après un virage, il finirait par voir un portail et des barrières en bois, avec une entrée, qui délimitaient le village. Son village.
Quand le jeune homme eut traversé le virage, il se força à continuer sa route, malgré les larmes qui grimpaient à ses yeux, et ses mains tremblantes comme des feuilles secouées par la brise matinale. Il avait encore en tête cette bribe d’image. Cette fameuse vision du corps d’Elaïa gisant sur le sol. Sur ce sol qu’il rejoindra bientôt.
    Il y était. Il était là. Dans ce village. Il avait passé les portes. Il avait réussi, malgré son corps frémissant, et le tourbillon émotionnel qui s’élevait en lui. Sa gorge se serrait, les larmes s'apprêtaient à couler, ce n’était plus qu'une question de temps, son souffle se coupait… Son corps ne lui obéissait plus. En trois ans, presque rien n’avait changé, comme si le temps avait été figé, gelé par un froid venu d’ailleurs. Le chemin qui menait à la place, était muraillé par des maisons, dont certaines portes étaient encore ouvertes. La peur qui traversait de part et d’autre le jeune Chasseur lui était encore d’une nature inconnue. Plus le jeune continuait à avancer sur le chemin qui menait à la place, plus il se sentait oppressé par une force invisible. Son cœur tentait de sortir de sa cage thoracique. Il dégaina instinctivement son épée, continuant sa marche qui le conduirait à son passé. Kal s’obligeait à aller à l’encontre de lui-même, en accélérant la cadence. Bientôt, les maisons laissèrent place à une forêt qui enveloppait le village, le petit bout de chemin qui lui restait et la place.
    Le jeune Chasseur ferma les yeux, tout en cramponnant son épée, en allant de l’avant. Lélia avait eu raison. Sur toute la ligne, elle n’avait pointé du doigt qu’une vérité. Kal n’aurait jamais pu entreprendre de continuer jusqu’aux Ruines il y avait encore peu.
    Après une vingtaine de pas, les yeux clos, Kal s’arrêta net. Il ouvrit doucement les paupières, tout en détaillant ce lieu.  Mais subitement, sa vision devint trouble. Son cœur s’emballa. Son corps tremblait comme une feuille morte en plein hiver. Sa tête lui faisait terriblement mal, tandis que sa raison lui grondait de faire demi-tour. La douleur, cette pression qui pesait sans cesse toujours plus lourd, il l’a reconnue. Lélia l’avait mis en garde. Dès qu’il ressentirait une émotion telle que celle-là, une puissance démesurée rodait à coup sûr dans le coin. Kal se sentait en danger. Il pressentait quelque chose d’anormal. Il avait ce sentiment. Dans quoi venait-il de s’embarquer ?
    Son mal de tête était en constante augmentation, il ne sentait plus rien, ne voyait plus rien. Il avait mal. Mal au crâne, mal au ventre, mal au corps, mal au cœur. Le jeune homme titubait, reculait, finissant par se cogner à un arbre pour s’écrouler au sol. Son cœur battait fort. Son corps grelottait de plus bel. Il ne ressentait plus la douleur. La dernière part de conscience qui lui restait, retenait son esprit, mais il ne savait plus quoi faire. Une force instinctive prenait le dessus. Il n’était absolument plus lui-même. Elle était là. Elle était si proche et si loin à la fois. Combien de temps allait-il s’écouler avant qu’elle ne revienne ? Il ne pensait plus avec lucidité. Dans sa tête, tout devanait une alternance entre noir et image brève. Il ne devait pas laisser cette force prendre le dessus. Mais son esprit semblait ne pas être en accord avec ce choix.
    Entre raison et néant les minutes passaient. Par moment, Kal pouvait éprouver toute la douleur du monde, puis la seconde d’après, lorsque son esprit quittait les lieux, il ne ressentait rien. Mais lors d’un moment de lucidité, il eut cette courte image : Lélia. Qu’avait-elle fait pour le sortir de là ?
    Le Nominé fit de son mieux pour garder le contrôle, encore un court instant, pour lui permettre d’attraper un poignard. La lame en main, il se l’enfonça dans la cuisse. Le Chasseur hurla de douleur, mais quand il prit réellement conscience de son acte, il arrêta immédiatement. S’il y avait la moindre personne qui avait entendu, ne serait-ce qu’un instant, ce cri, le jeune homme pouvait s'être mis en grave danger. Son cœur retrouvait peu à peu un rythme normal, tandis que le jeune Chasseur se sentait comme revivre. Dans une des pochettes de sa ceinture, il attrapa une bande dont il entoura sa cuisse pour compresser la plaie. Le jeune homme inspira longuement, avant de relâcher toute l'air, et de se lever.

Nominé : Préambule du ChaosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant