Allongée dans mon lit d'hôpital, je m'ennuyais. Habituellement, à l'heure qu'il était, j'aurais dû être en cours d'histoire de l'art. Cependant, le docteur Thomas avait requis l'hospitalisation afin de me faire passer des examens plus poussés sur mon état. J'étais passé par toutes les opérations possibles depuis ma naissance. La dernière, qui remontait à deux ans, avait été celle de la dernière chance avant d'envisager la transplantation cardiaque. Aujourd'hui, les résultats devaient déterminer s'il était temps d'en arriver à cette extrémité. Malheureusement, je savais qu'il m'en faudrait passé par là, un jour ou l'autre. Je savais aussi, qu'il n'était pas facile de trouver un donneur compatible. Tout n'était qu'une question de chance. Je ne me posais pas de question sur les résultats. J'étais persuadé que le doc allait annoncer qu'il m'intégrait sur la liste des demandeurs. Je n'avais pas peur. J'avais de bonnes chances de ne pas en avoir à temps. J'étais en paix avec cette possibilité. Ce qui m'ennuyait le plus était de passer le reste de ma vie dans ce lit. S'il ne me restait que peu de temps, je préférais le passer à profiter de la vie, quitte à l'écourter un peu plus. Dans les mœurs actuelles, cela pourrait revenir à demander un suicide assister mais il n'en était rien. Je demandais seulement à pouvoir vivre pleinement le semblant de temps qui me restait. Mon cœur était fragile mais mon esprit était puissant. J'avais l'envie de vivre d'une jeune femme de mon âge. Cela n'allait pas avec mon état de santé mais je m'en foutais complètement. Contrairement à ce que pensait ma mère, je n'étais pas suicidaire, je ne me foutais pas de vivre ou pas. Je voulais seulement pouvoir décider de ce qu'allait être le reste de mon existence. Je n'étais pas destinée à vivre longtemps. Je n'étais que de passage sur cette terre, comme nous tous. Chaque personne, ici-bas avait cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête et ils le vivaient très bien en accomplissant tout ce qu'ils souhaitaient, alors pourquoi pas moi. Cela n'était pas une chose que mes parents ou le docteur voulaient entendre. Ils gardaient espoir. Thomas, moins que mes parents, mais il ne parvenait pas à s'avouer qu'il me serait pratiquement impossible d'obtenir cet organe dans les temps. Je me connaissais. Je savais comment mon corps fonctionnait. Mon cœur était faible. Aussi, je m'apprêtais à faire une demande particulière à mon médecin. S'il fallait l'y contraindre, je n'hésiterais pas. Une toute dernière opération. Celle qui me permettrait d'aider mon cœur à trouver suffisamment de force pour un ultime champ des possibles. Je n'avais jamais eu le cran de partir à l'aventure, de quitter l'état et la sécurité de ma ville, la proximité de mon docteur. Si mes soupçons s'avéraient exacts et que je sois, dès aujourd'hui, mise sur une liste d'attentes de greffes, je lui poserais un ultimatum. Soit il m'opérait pour mieux vivre mes derniers instants, sans révéler mes projets à mes parents. Soit, j'irais voir ailleurs, invoquant le secret médical. Quoi qu'il en soit, il devrait faire ce que mes parents n'arrivaient pas à faire. Lâcher prise.
Les mains derrière mon crâne, je fixais le plafond avec la détermination que cela ne serait pas la dernière chose que je verrais de ma vie.
Je savais que je ne serais pas condamnée à vivre ici, s'il arrivait que je sois sommet à cette liste. Je retournerais chez mes parents mais ce n'était pas ce que je voulais, non plus. C'était moi la mourante et c'était eux qui vivaient comme si leur vie allait prendre fin. Cela était insupportable. De plus, je ne tenais pas à ce qu'ils assistent à ce spectacle. Ils étaient déjà bien trop affectés par la situation. Je me devais de leur épargner cela.
Mes parents étaient des personnes très aimantes et sensibles. Je ne l'étais pas autant qu'eux mais j'avais hérité de leur profonde humanité. Ma mort allait les meurtrir jusque dans leur chair. Autant leur éviter d'y assister.
Je rêvais depuis mon adolescence de partir à l'aventure. Je m'étais promis que lorsque vendrait le moment, je réaliserais ce rêve. J'étais prête pour une dernière bataille. L'opération me requinquerait suffisamment pour disparaitre. Cela était égoïste de ma part mais je m'en foutais. Il s'agissait de ma vie. Cela n'était pas une décision facile à prendre mais elle était nécessaire. Je ne connaissais rien au monde en dehors de ma petite vie bien organiser autour de ma maladie. Avant de partir définitivement, je voulais voir le monde, ou du moins, en voir une partie. J'avais secrètement économisé l'argent de mes petits boulots d'adolescente, puis d'étudiante, pour cette occasion. Cela ne serait pas un tour du monde mais mon petit tour du monde à moi, même si cela concernait de passer de l'État de la Louisiane, où nous nous trouvions, au Texas, Mississippi ou encore Arkansas. Peu importaient la direction que je prendrais. Tout était en place depuis des années dans mon esprit. Je voulais une aventure. Une toute dernière avant le grand voyage. Je voulais vivre des choses uniques. Je voulais vivre des hauts et des bas. Je voulais rire. Je voulais pleurer. Je voulais tout simplement vivre une dernière fois quitte à mettre mes chances en périls. C'était un choix murement réfléchi.
Je savais que j'allais rencontrer des obstacles auprès de mon médecin qui avait fait de ma maladie, sa ligne de conduite. Il voulait me sauver à tout prix. Cependant, j'avais vingt-quatre ans et chaque décision me revenait. Cela relevait de mon autorité et personne n'avait son mot à dire. Je sentais que c'était le moment de réaliser ce fantasme. Peut-être allais-je me tromper. Peut-être allais-je vivre les plus beaux instants de ma vie. Cela se révèlerait à moi quand mettant en pratique cette idée. Je m'y étais préparé dans tous les sens du terme. Je détournais le regard pour poser les yeux sur le tiroir de la table de chevet près de mon lit. Dedans reposaient deux enveloppes. Une était destinée à ma mère, l'autre à mon père. Elles leurs serait remis après mon départ par le docteur Thomas. Elles leur expliqueraient mon choix, ainsi qu'elles leur exprimeraient tout l'amour et la reconnaissance que je ressentais à leur égard. Dans ces missives, je leur faisais mes adieux. L'opération que je m'apprêtais à demander, ne m'accorderait que peu de répit. Ce voyage allait accélérer l'évolution de la fatigue de mon cœur. Aussi, je savais qu'il y avait des chances pour que je n'ai pas le temps de rentrer à la maison. Mes parents auraient encore le temps de profiter de moi, aux suites de l'opération. Je ne pourrais pas disparaitre immédiatement. Il me faudrait du temps pour reprendre des forces. Aussi, ces enveloppes resteraient un moment dans ce tiroir et mes parents auraient tout le temps pour profiter de ma présence.
Je fus, soudainement, coupée dans mes rêveries par un coup à la porte. Mes parents se levèrent des chaises qu'ils occupaient depuis le matin pour voir entrer une infirmière.
- Comment allez-vous ? me demanda-t-elle en s'approchant de moi pour vérifier ma tension. J'ai pu voir une accélération du rythme cardiaque dans le bureau des infirmières.
- Je vais bien, soufflais-je d'une petite voix fatiguée.
Elle surveilla, un moment, mes constantes puis baissa le regard sur moi avec un sourire bienveillant.
- Le médecin a-t-il eu les résultats de son électrocardiogramme, de son échographie du thorax et..., commença ma mère.
- Il viendra vous trouver lorsque cela sera entre ses mains, madame, la coupa l'infirmière d'une voix douce face à l'inquiétude grandissante de ma mère.
Ma mère se laissa tomber lentement sur son siège en soupirant, les yeux baissés tandis que l'infirmière reporta son attention sur moi.
- Essayer de vous reposer, mademoiselle, me suggéra-t-elle tendrement avant de nous laisser seuls.
Je portais mon regard sur mes parents qui se regardaient avec tristesse, en sentant une boule de culpabilité se former dans ma gorge face à leur peine, puis fermer les yeux pour échapper à ce spectacle des plus accablants tout en leur faisant la promesse qu'ils n'auraient pas à assister à l'inévitable.
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Trials of the heart
RomanceJeune femme pleine de vie et équilibrée, bataillant pour ses idées, Kasia a fait de sa vie un combat constant. Entourée de proches bienveillants et aimants, elle apprécie ce que la vie lui offre. Elle n'attend rien de plus que ce qu'elle a déjà obte...