Chapitre 27 : Kasia

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Nous finissions notre petit déjeuner, dans le même restaurant où nous avions diner la veille. Je l'observais avaler comme un ogre le bacon qu'il s'était recommandé alors que je finissais mes flocons d'avoine et ma salade de fruits. Son plat me donnait envie, si bien que j'en bavais presque. Seulement, et n'avait pas droit aux aliments trop riches. Je devais manger sainement pour ne pas surcharger mon cœur. Aussi, je déviais le regard sur la fenêtre, tentant d'oublier l'odeur du graillon. Mes parents avaient pris l'habitude de manger les mêmes choses que moi. De ce fait, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de sentir l'odeur de la viande grillée. J'en avais oublié sa senteur si distincte et délicieuse.

Lorsqu'il eut fini sa troisième assiette, il m'attendit alors que je peinais à terminer la mienne. Avachie sur ma banquette orangée, je repensais à notre soirée de la veille. J'en avais adoré chaque minute. Cela avait été de courte durée mais j'avais eu l'occasion de danser, de rire et de parler avec des inconnus comme je n'avais jamais été permise de faire. Je n'avais pas eu à faire attention à leur état de santé avant de les approcher. Je regrettais seulement que Marlon ne se détende pas suffisamment pour profiter du moment. Il était tout le temps sur les nerfs, dans le contrôle. Je pensais qu'aller dans ce bar l'aiderait à s'ouvrir à la tranquillité. Il n'en fut rien. Il semblait constamment sur le qui-vive. Je ne pensais pas à notre voyage en ces termes. J'avais visualisé cela autrement. Je nous avais vu nous amuser comme deux jeunes personnes insouciantes. J'avais sous-estimé la nervosité de l'homme assis en face de moi. Il était pratiquement impossible de le dérider. Prônait dans ses yeux, tant d'inquiétudes, de maîtrises, qu'il ne parvenait pas à se détendre. Cependant, il n'y avait pas que cela. Il était nerveux, presque enragé par moments. Il y avait quelque chose en lui qui bouillonnait. Je ne savais de quoi il en retournait mais j'étais prête à en connaître les aboutissants. Il était tourmenté. Je voulais l'aider à se libérer de cela. Je savais que cela serait un travail long et minutieux pour qu'il puisse se confier.

En attendant, je repoussais mon assiette, parfaitement rassasié et portais une main à mon estomac plein.

- Tu n'as pratiquement rien manger, Kasia, dit-il contrarié.

- C'est sûr que comparer à ton appétit, je passe pour une petite joueuse, ricanais-je.

- Il faut que tu te nourrisses plus que ça, insista-t-il en ramenant mon assiette devant moi.

Je secouais la tête.

- Je ne peux plus rien avaler, promis-je. Je ne garderais rien si je continue. Ce n'est pas le but, non ?

Il n'insista plus et se leva pour aller payer, pendant que je rassemblais mes affaires et passa la lanière de mon sac sur mes épaules avant de le rejoindre. Il poussa la porte et nous prîmes la direction de la voiture. Marlon avait envisagé de s'arrêter, pour la prochaine nuit, à Jefferson City, dans le Missouri. Il semblait suivre un trajet bien distinct, comme si nous avions une destination. Cela m'intriguait, me questionnait. Il n'avait jamais été question de nous rendre dans un endroit précis. Le but était de traverser les États et profiter de nos dernières libertés. De toute évidence, nous n'avions pas les mêmes attentes. Nous suivions une ligne directrice bien précise. J'aurais aimé en connaître la raison mais faire parler Marlon était tout un défi.

Nous engagions sur la soixante-troisième en direction du nord de l'État. J'allumais la radio afin de combler le silence. Marlon ne semblait pas prompt à faire la conversation. J'avais l'impression qu'il ne dormait pas beaucoup. Les cernes sous ses yeux indiquaient qu'il était fatigué. Pourtant, les pauses que nous prenions, par ma faute, lui permettaient de se reposer mais il ne semblait pas profiter de temps pour prendre repos.

Marlon était un homme têtu et fier. Il n'avouerait jamais être fatigué. Aussi, je le laissais tranquille. Il avait déjà l'air de porter le monde sur ses épaules. Je ne voulais pas en rajouter avec mes suppositions. Ainsi, je me contentais d'apporter un peu de joie dans l'habitacle en accompagnant les chanteurs dans leurs mélodies de ma voix. Je ne chantais pas très bien et j'espérais que cela ferait rire Marlon, ou, au moins, que cela le ferait réagir d'une quelconque manière. Voyant que je n'obtenais aucune réaction, je me mis à bouger dans une danse précaire et ridicule. Je voulais enlever cet air tendu de son visage. Son regard revint dans le moment présent et il me lança un coup d'œil. Je lui adressais un sourire en abaissant les bras.

- Tu es bien en forme, aujourd'hui, constata-t-il.

- Et toi, tu es bien pensif.

- Ouais, maugréa-t-il.

- C'est au sujet de notre destination ?

Il me zieuta, surpris.

- Qui te dit que nous avons une destination ?

- Je ne sais pas... peut-être le fait que tu as l'air d'avoir un but. Tu ne choisis pas notre route par hasard.

Ses mains se resserrèrent sur le volant. Il fixait la route avec une certaine détermination.

- Que veux-tu faire, une fois à Jefferson ? détourna-t-il la discussion.

Il n'allait pas m'en dire davantage et je n'insistais pas. Marlon n'était pas du genre à se confier facilement. J'allais le laisser aller à son rythme. Je ne voulais pas le brusquer. J'espérais qu'il parviendrait, peu à peu, à avoir suffisamment confiance en moi pour libérer la parole et communiquer avec moi sur ce qui le perturbait.

- J'aimerais visiter le musée. J'aimerais, aussi, faire le circuit touristique historique. Il propose ce circuit pour découvrir l'histoire de la ville mais, également, un circuit de nuit pour découvrir les légendes de fantômes, de meurtres inexpliqués et pleins d'autres choses. Notre arrêt dans cette ville va être piquants. On va bien s'amuser !

- Je préfèrerais que nous évitions le circuit de nuit.

- Tu crains les fantômes ? le taquinais-je, sachant que là, n'était pas la raison.

- Tu dois te reposer entre deux longs trajets, Kasia. Je ne t'apprends rien.

- Non. C'est une évidence mais nous pourrions partir de la ville, un peu plus tard. Cela pourrait nous permettre d'en profiter un peu plus, proposais-je, incertaine de sa réponse.

- C'est ce que tu souhaites ? demanda-t-il avec réticence.

J'avais compris qu'il ne souhaitait pas trop s'attarder pour retourner à sa vie, où l'attendaient tant de responsabilités. J'hésitais alors à poursuivre dans mon idée mais cela aurait eu pour avantage de l'obliger à s'amuser aussi. Cela aurait pu être rigolo d'assister à pareille étrangeté. Je ne savais que répondre. Qu'était-il mieux pour lui ? Arriver à l'endroit où semblait attendre quelque chose qui le perturber ? Ou le contraindre à profiter du voyage un peu plus longtemps pour le divertissement ?

Cependant, je n'eux pas à réfléchir plus en avant. J'avais, vraisemblablement, réfléchi trop longtemps lorsqu'il reprit la parole.

- Si c'est ce que tu veux alors on s'arrêtera pour deux jours à Jefferson pour que tu puisses visiter toutes les attractions que tu voudras, décida-t-il.

Je soufflais prise par une certaine culpabilité que mes envies soient un poids pour lui. Cela était purement égoïste. Ne pas savoir ce qui l'écartelait était irritant car je ne pouvais pas l'aider alors que cela était tout ce que je voulais. Je voulais que l'image que je me faisais de ce voyage se réalise. L'image de nos deux silhouettes aux visages souriants et détendus. Je ne voulais pas être la seule à bénéficier de se lâcher prise. Il le méritait tout autant que moi. Néanmoins, cette image s'éloignait petit à petit, à mesure que nous avalions des kilomètres. Aussi, et malgré ma décision de le laisser aller à son rythme, je décidais de prendre la parole.

- Et si nous discutions de ce qui te trotte dans la tête, au point de te tendre si férocement que tu en es raide ...

Trials of the heartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant