Chapitre 1 : Kasia

3.3K 179 6
                                    


Je levais la tête sur les rues qui défilaient sous mes yeux, perdue dans mes pensées. Je pris une profonde inspiration et fermais les yeux en posant mon front sur la vitre de la voiture. Une main captura la mienne ce qui me ramena à moi. Je serrais la main à mon tour en pivotant pour regardait ma mère qui gardait le regard sur la route.

- Tout va bien ?

Elle passa une vitesse sans jamais me lâcher la main.

- Oui. Seulement je n'ai pas envie d'entendre une mauvaise nouvelle.

- Je sais, ma chérie...

- Que crois-tu qu'il va nous annoncer ?

Les yeux de ma mère se firent plus tristes. Son pouce caressa mes doigts. Sa bouche n'était plus qu'une ligne d'angoisse. Elle cherchait à me protéger de ce qui allait, certainement, se passer tout en sachant que cela était impossible.

- Tu le sais déjà, ma puce, répondit-elle en laissant une larme glisser le long de son visage.

- Ne pleure pas, maman.

Elle souffla afin de retrouver un peu de calme, sans réellement y parvenir.

- Je t'aime, ma fille, déclara-t-elle d'une voix tremblante.

Je serrais plus fortement sa main.

- Je t'aime aussi, maman.

Elle se gara, soudainement, sur le côté, face à un magasin de bijoux fantaisie, apparemment fait main. Je ne pus m'empêcher de me faire la réflexion qu'il faudrait que j'y fasse un tour, en voyant un présentoir de bracelet qui me plaisait beaucoup. Ma mère posa sa main sur mon épaule pour réclamer mon attention. Je me tournais vers elle et en un rien de temps, je fus dans ses bras. Elle me serrait si fort contre elle que je pouvais à peine respirer. Je soupirais.

- Ça va aller, maman. Tout ira bien.

- Comment veux-tu que ça aille bien ?

- Je ne me laisserais pas faire, assurais-je avec conviction.

- Parfois cela ne suffit pas, murmura-t-elle avant de poser une main sur sa bouche, les yeux écarquillés. Excuse-moi, mon bébé. Je ne voulais pas dire ça...

- Ce n'est pas grave. Cesse de te culpabiliser. Tu n'es pas responsable.

Elle se replaça sur son siège en essuyant ses joues maculées de larmes. Quant à moi, j'avais bien assez pleuré sur mon sort. Je n'avais plus aucune larme à donner. De plus, j'avais fini par accepter ce qui se passait. Cela avait été compliquer durant mon adolescence mais, à présent, à vingt quatre ans, j'étais assez adulte pour appréhender la situation différemment. Sans être spécialement fataliste, je savais que je ne pouvais rien y faire, aussi, j'acceptais qu'il me faudrait, un jour, faire mes adieux aux personnes que j'aimais. Cela était plus dur pour la femme assise près de moi. Ses larmes étaient comme des coups de poignards dans la poitrine.

- Il faut qu'on y aille, maman. On va être en retard...

Elle hocha la tête et remit le contact avant de s'engager sur la route. Le silence s'installa, entrecoupé par la respiration rapide de la conductrice qui retenait ses larmes. Sa sensibilité était touchante. Elle avait toujours été très émotive et elle n'avait jamais réussi à se faire à ma situation, pourtant cela était ainsi depuis ma naissance. Cela était normal, néanmoins. Cela devait être difficile pour une maman de faire face à cela.

Elle se gara sur une place libre du gigantesque parking puis coupa le moteur. Mon cœur commença à accélérer. Je n'avais pas peur. Contrairement à ma mère, j'étais en phase avec tout cela, mais cela n'en demeurait pas moins angoissant.

Je posais une main sur la poignée de la portière mais voyant qu'elle ne bougeait pas, je me tournais vers elle.

- Il faut y aller, maman. Tu peux rester ici, si tu le souhaites.

Elle secoua la tête.

- Non. Je viens, dit-elle après avoir pris une profonde inspiration.

Elle sortit du véhicule et je la suivis. Elle vint à moi et me prit la main. Elle me fit traverser l'immense parking jusqu'à l'entrée du bâtiment. Elle s'arrêta à l'accueil et serra ma main un peu plus fort. La femme, derrière le comptoir, leva la tête après avoir raccroché avec son interlocuteur. Elle nous offrit un sourire poli.

- Bonjour. En quoi puis-je vous aider ?

- Bonjour, mademoiselle. Ma fille à rendez-vous avec le docteur Thomas. Pourriez-vous l'informer de notre arrivée ?

L'infirmière reporta son attention sur moi puis revint à ma mère. Elle semblait ressentir la tension qui existait dans la voix de celle-ci et lui offrit un regard rassurant.

- Bien sûr. Vous pouvez y aller. Je l'informe de votre arrivée.

Je tirais le bras de ma mère en direction des ascenseurs en remerciant la jeune femme. Elle était beaucoup trop stressée. Pourtant, je consultais le docteur Thomas depuis mon plus jeune âge. Il me suivait depuis mes premiers jours mais elle n'avait jamais réussi à se faire à l'idée de ma maladie. Quant à moi, je vivais depuis toujours avec cela. Je n'avais jamais rien connu d'autre, aussi cela était entrer dans la normalité même si j'avais toujours envié mes amis que j'avais pu me faire tout au long de ma scolarité. Toutes activités physiques m'était strictement interdite. Je devais mener une vie saine. Je n'avais pas connu ma première cuite. Je connaissais plus les séjours à l'hôpital que les soirées entre amis. Cela avait été contraignant mais une norme. Contre tout avis médical, aujourd'hui j'étais toujours là. Je m'étais battue comme une lionne pour survivre alors que les médecins ne me donnaient que quelques semaines de vie. J'étais une battante qui refusait l'évidence. Je savais que ma vie serait écourtée. Je ne vivrais pas très longtemps. Mon cœur n'était pas assez en forme pour cela. Mon seul espoir d'obtenir une longue et vivante vie était la greffe. Malheureusement, cela était un espoir presque vain. Il n'existait pas de commerce pour cela. Arriver à mes quatorze ans, j'avais fini par accepter ma maladie et apprécier le court moment que je passerais sur terre. Cela était ainsi et rien ne pourrait le changer alors j'avais décidé de profiter plutôt que pleurer sur mon sort. Je faisais attention à ma santé mais chercher tout ce qui m'était autorisé afin de pouvoir vivre pleinement. Cela ne ressemblait en rien à la vie que menait mes amis mais je tentais de ne pas prêter attention aux faites que lors des soirées, je ne buvais pas, qu'ils étaient obligés de sortir de la maison pour fumer, que je dormais près d'un dispositif d'alimentation en oxygène ou alors que par moments, je n'étais assez en forme pour ne serait-ce que me lever, ce qui me conduisait à l'hospitalisation. Je ne faisais plus attention non plus aux multiples opérations à cœur ouvert par lesquelles je devais passer pour espérer un peu plus de temps auprès de mes proches. Ma vie se comptait entre la maison de mes parents et l'hôpital. Cela était une habitude, plus une contrainte. Je n'étais pas prête à abandonner. Je voulais vivre jusqu'au bout, tout en acceptant que cela ne fût que temporaire, comme pour chacun de nous.

Je sortis de l'ascenseur, les jambes en coton. Depuis quelque temps, je recommençais à me sentir faible, le souffle court. Je passais mes nuits avec un masque à oxygène sur le visage. Mon cœur s'affaiblissait de nouveau. Aujourd'hui devait être déterminé si je devais repasser sur la table d'opération. C'était ce qui angoissait tant ma mère. Chaque opération était un risque. Je pouvais perdre la vie sur la table. Aimante au possible, elle ne supportait pas la pression que cela exerçait sur son pauvre cœur. Mes parents avaient une attitude différente face à ma maladie. J'étais née avec une déformation cardiaque. Un seul ventricule. Ma vie se résumait à apporter des soins afin de pallier cette caractéristique. Je portais mon regard sur ma mère qui tenta un sourire rassurant mais échoua. Ces derniers temps, ma santé était précaire. Elle le savait. Dans ces moments-là, elle était presque défaitiste. Elle me voyait déjà morte, ce qui, bien entendu, l'affectait énormément.

Nous nous dirigions vers la salle d'attente mais nous n'avions pas le temps de nous asseoir lorsque la porte du bureau de l'homme qui me suivait depuis mes cinq ans. Je me redressais en le voyant apparaitre. Son sourire bienveillant m'apporta une bouffée de chaleur. Il avait toujours été ma boussole depuis toutes ces années. Je m'avançais vers lui et tendis la main pour qu'il me la serre. Il posa ses deux mains sur celle-ci et la pressa.

- Bonjour Kasia. Madame Keller, salua-t-il ma mère. Vous pouvez entrer, nous invita-t-il. 

Trials of the heartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant