- J'ai entendu ta porte claquée et des pleurs cette après-midi. Qu'est-ce qu'il s'est passée ?
Il n'allait clairement pas bien. Il cherchait à distraire son esprit afin de ne pas penser à ce qui le préoccupait. J'aurais aimé qu'il se confie à moi. Il avait visiblement besoin de relâcher la pression. Il était entré dans ma chambre avec un air si sombre. Il était en colère. Je savais que cela n'était pas évident de perdre un être cher mais c'était la première fois que je voyais quelqu'un autant en colère. Il avait eu cette expression enragée qui aurait effrayé n'importe qui.
Il n'avait tangiblement pas envie d'en parler, aussi j'allais dans son sens.
- J'ai eu une conversation à cœur ouvert avec ma mère, l'informais-je.
- Tu ne veux pas en parler ?
Je soupirais en levant les yeux au plafond.
- J'ai tenté de lui faire comprendre qu'il y avait possibilité que je ne survive pas. Elle ne veut jamais aborder le sujet mais c'était nécessaire. Elle souffre horriblement.
- Pas autant que toi.
Surprise, je tournais le regard sur lui.
- Au contraire, je pense qu'elle vit tout ça bien plus mal que moi.
Il se rencogna au fond de son siège, les sourcils toujours froncés. Je savais que cela n'avait rien de cohérent mais cela était la pure vérité. La douleur physique était facilement oubliée par les médicaments qu'on me donnait. Sa douleur mentale n'avait aucune médication pour la soulager instantanément.
- Tu es trop gentille, concluait-il.
Je levais un sourcil. Mes lèvres esquissaient un sourire en coin.
- Vraiment ? C'est ce que tu penses de moi ?
- C'est affiché sur ton visage.
- Je ne sais pas. Je ne me sens pas comme quelqu'un de gentil en ce moment. Plus comme une personne égoïste. Tu crois que mon choix de partir en catimini fait de moi une mauvaise personne ?
- Non. Tu t'autorises à penser à toi, et seulement à toi. En vingt-quatre ans de vie, il était temps. Ce n'est pas une raison pour faire n'importe quoi, tout de même.
- Que veux-tu dire ?
- Tu veux vivre pleinement et je le comprends mais tu resteras malade, même sur la route. Tu dois prendre soin de toi.
- Tu ne vas pas t'y mettre aussi, m'exaspérais-je.
- Tu ne sais pas ce que l'avenir te réserve. Crois-moi. Il y a toujours des choses qui te tombent sur le coin de la gueule, auxquelles tu ne t'attends pas forcément.
Je secouais la tête, agacer.
- Ma mère t'adorerait, grommelais-je.
Il eut un petit sourire.
- Je ne crois pas... mais pourquoi, toi, tu t'accroches tant à l'idée que recevoir un cœur à temps serait impossible ?
J'appuyais sur le bouton qui releva le lit pour me permettre d'être en position assise. Je relâchais la télécommande et prit une profonde inspiration. Cela était un sac de nœuds que j'évitais en temps normal.
- Je préfère penser que ce ne serait pas possible, comme pour les nombreuses personnes qui sont passé dans ce service pour en ressortir les pieds devant, parce que je ne veux pas vivre l'espoir en vain. Il est plus facile de vivre avec cette certitude.
- Tu y crois un peu alors ?
- Pas vraiment. Il y a toujours une chance mais elle est si infime que j'estime mieux me penser condamner.
- Tu es réellement en paix avec cette pensée ?
- Oui. Si ça doit arriver, je suis prête. Rien ne pourrait le changer alors pourquoi se battre contre l'inévitable ?
Il resta silencieux, comme méditant mes paroles. Ses yeux fixés sur moi, il ne semblait pas vraiment présent.
- Tu sais... je me bats depuis toujours. Je me bats encore aujourd'hui pour rendre accessible mon rêve mais après cela, je n'aurais plus aucune raison de le faire. je connais mon corps. Je connais chacune de ses réactions, de ses faiblesses. J'ai demandé avec insistance cette opération. Normalement, le docteur Thomas n'aurait pas proposé ça parce que je suis passé par toutes ces procédures par le passé et que cela ne me permettrait pas à vivre plus longtemps, seulement amélioré mon niveau de vie. Il n'y a vraiment plus rien à faire, à part attendre un miracle qui n'a que très peu de chance d'arriver à temps. Mon cœur est grandement affaibli. Je peux le sentir. Il ne tiendra pas suffisamment longtemps.
Marlon était resté silencieux tout le long de mon plaidoyer. Je n'avais jamais abordé le sujet de ma maladie avec autant de sincérité. Je donnais l'air d'être fataliste mais il n'en était rien. Je n'avais pas non plus abandonné le combat mais je savais quand il valait la peine de m'épuiser au combat. Je savais qu'à ce stade, je n'avais plus qu'une chose à faire pour moi-même. Me laisser vivre ce que je souhaitais. Marlon se passa une main dans les cheveux, les ébouriffant un peu plus. Cela me fit sourire malgré le sujet aborder. C'était un bel homme. Il n'y avait pas à en douter. J'aurais pu tenter de passer du bon temps avec lui si je n'avais pas été trop faible pour une partie de jambe en l'air. Le sexe m'était proscrit, à présent, malheureusement. Trop d'efforts. Trop d'émotion forte que mon cœur ne pourrait pas supporter. Je soupirais devant ce que je manquais sûrement.
- Tu es résignée, déclara-t-il.
- Si c'est de cette manière que tu veux le voir.
- Comment le vois-tu ?
- Je le vois comme un beau combat perdu d'avance. J'ai vécu bien plus longtemps que ce qui m'avait été prédit. Je suis relativement fière de moi-même. Je me suis montrée forte et courageuse depuis ma plus tendre enfance. J'ai donné tout ce que j'avais pour survivre et contenter mes parents. J'ai tout fait pour avoir une vie à peu près normale sans être aveugle à ma condition. J'ai supporté bien plus de choses que la plupart des gens sans jamais perdre confiance, ni ma joie de vivre. Aujourd'hui, il est temps pour moi d'abdiquer. Je dois faire preuve de suffisamment de courage pour faire face à la suite. Aussi deux choix se sont proposés à moi. Soit, je restais dans ce lit avec l'espoir de recevoir un cœur sans en avoir la certitude. Soit, je profitais du temps qui me restait pour réaliser un rêve de jeune fille qui n'avait fait que grandir avec les années. C'était une décision vite prise, finis-je dans un sourire presque peiné.
Je soufflais profondément après avoir discouru. Je manquais d'oxygène. Cela était ce qui m'inquiétait le plus pour le road trip. Mon besoin en oxygène artificiel n'avait jamais été aussi conséquent. Je fermais les yeux pour me concentrer sur mes respirations afin de maitriser chacune d'elles quand mon masque fit son apparition sur mon visage. Je tournais le regard sur Marlon, qui souleva ma tête, délicatement, pour faire passer l'élastique derrière mon crâne. De l'air emplit directement mes poumons. Les tiraillements dans ma poitrine se firent moins douloureux. Le regard sur Marlon, je pouvais voir, dans les siens, de la compassion. Il posa sa main sur le haut de mon crâne et caressa doucement mes cheveux, me faisant fermer les yeux durant une seconde.
- Tu as besoin de repos pour notre voyage. Reposes-toi. Nous reprendrons notre discussion après ta petite sieste...
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Trials of the heart
RomanceJeune femme pleine de vie et équilibrée, bataillant pour ses idées, Kasia a fait de sa vie un combat constant. Entourée de proches bienveillants et aimants, elle apprécie ce que la vie lui offre. Elle n'attend rien de plus que ce qu'elle a déjà obte...