Prologue : « C'était différent. »

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Installés sur un canapé de velours bon marché et d'une couleur qu'aucun n'aimerait avoir à arborer dans leur salon – d'un jaune sûrement autrefois criard mais usé par des années de bons et loyaux services et révélant le mauvais goût de son propriétaire –, chacun s'évertue à regarder à l'opposé de son partenaire. La tension est palpable et le professionnel les observe depuis qu'ils sont arrivés, c'est-à-dire une trentaine de minutes. Ils se sont présentés, ont répondu aux questions de l'homme, mais à aucun moment ils ne se sont adressé la parole directement. Pas si étrange que ça lors d'une thérapie de couple, cela dit.

Deux ans de mariage, première séance.

Le psychologue aime quand les couples viennent le voir d'eux-mêmes, sans passer par des amis inquiets ou une ordonnance du juge. En général, cela veut dire qu'il y a quelque chose à sauver. Pas toujours. Mais souvent.

Le brun aux yeux noisette regarde sa montre en remontant la manche de son pull, il grogne. Ce geste attire, enfin, l'attention de son mari, un asiatique au style plutôt ambigu. Ils ont l'air très différents l'un de l'autre. Là où l'asiatique porte du maquillage, des bijoux et des vêtements soigneusement choisis qui le mettent en valeur, le brun porte un jean un peu élimé, a les cheveux en bataille et une barbe de trois jours.

— Tu as des obligations ailleurs, peut-être ? demande l'indonésien, d'un ton mécontent.

— Non, râle le brun, mais je ne sais pas ce que je fais ici !

— Vraiment ? On est ici parce que tu ne me parles plus depuis des semaines !

La voix de l'asiatique monte un peu, tremble, autant de détresse que de colère. Le brun tourne vers lui un regard furieux qui le fait se tasser dans son siège, les yeux baissés.

— Tu m'as trompé ! Évidemment que je n'ai plus envie de te parler ! Je n'ai même plus envie de te regarder, en ce moment !

Le psychologue hausse les sourcils, mais il comprend enfin d'où vient le problème. Il se tourne vers l'asiatique.

— C'est vrai, Magnus ? Vous avez trompé Alexander ?

— Alec, rectifie le brun, pour la troisième fois de la séance.

— « Alec », désolé. Donc, est-ce la vérité ?

— Oui, c'est... C'est vrai.

Magnus détourne les yeux, une larme coule sur sa joue et il l'essuie prestement. Le psychologue voit des remords dans la façon dont il essaie de fuir le regard et le jugement d'autrui. Il se sent coupable.

— Pourquoi avoir fait ça ? demande-t-il d'un ton qui se veut professionnel et dénué de jugement.

— Parce que c'est un PUTAIN d'égoïste !!

Le brun s'est redressé, les pieds farouchement plantés contre la moquette, d'aussi mauvais goût que le canapé, comme prêt à se lever à tout instant pour partir, ou simplement tout envoyer valser.

— Alec, s'il vous plaît...

— Tu n'es jamais là ! s'écrie finalement Magnus avant de se reprendre. Tu es toujours en déplacement. Et quand tu es à la maison, tu t'enfermes dans ton bureau.

— C'est mon travail ! répond Alec, agacé et levant les yeux au ciel, comme s'il se justifiait pour la énième fois.

— Exactement ! Ton travail ! Tu n'as que ça à la bouche depuis des mois ! Et moi, je... Tu ne fais même plus attention à moi !

Alors que ses larmes sont de plus en plus difficiles à contenir, il esquive encore une fois le regard meurtrier que lui lance son époux en réponse à ses paroles.

— Excuse-moi d'être fatigué de travailler pour nous deux ! Il me semble que tu ne te plaignais pas de pouvoir t'acheter tout ce que tu veux ! Putain, j'ai jamais vu quelqu'un d'aussi égocentrique que toi !

— Doucement, doucement, intervient le psychologue, les mains levées devant lui.

Réprimant un soupir, il tend une boîte de mouchoirs à Magnus qui pleure vraiment, à présent. L'indonésien attrape un mouchoir et essuie ses joues, il lance un regard reconnaissant à l'homme qui le regarde toujours, compatissant. Instinctivement, l'homme se rapproche sur le bord de son fauteuil.

— Ah, vous êtes de son côté ? s'insurge le brun en voyant leur échange.

— Je ne suis d'aucun côté, Alec. J'essaie seulement de comprendre et de vous aider.

— La meilleure aide que j'aurai sera celle de mon avocate, pour le divorce !

— Pourquoi avez-vous pris la peine de venir si vous voulez divorcer ?

Alec tourne la tête en soufflant, dans un refus évident de répondre. Le psychologue baisse les yeux sur la tablette sur laquelle il prend ses notes, une seconde. Il attend que l'homme se détende, que les larmes de l'asiatique se calment un peu. Lui aussi, à présent, semble prêt à s'enfuir à tout moment.

Après un silence qu'il juge assez long, le professionnel reprend en relevant les yeux vers Alec.

— Vous l'aimez encore. C'est pour ça que vous avez accepté de venir quand il vous l'a demandé.

— J'en sais rien, avoue le brun. Je suis tellement en colère contre lui.

— Oui, c'est normal. Et si vous ne l'étiez pas, vous ne seriez pas ici.

Alec s'autorise un nouveau regard vers son époux qui fixe le sol, ses épaules tressautant encore à cause de ses sanglots contenus.

— Est-ce que vous en avez parlé ?

— Non. J'ai découvert des factures étranges, c'est comme ça que j'ai su. Et il n'a pas nié.

— Je vois. Peut-être avez-vous des questions à ce sujet ? Des questions que vous n'avez pas osé poser, ou auxquelles Magnus n'a pas osé répondre... Parce que vous étiez seuls, par exemple ?

Le regard noir du brun revient sur le professionnel qui sursaute. L'espace d'un instant, il se demande si le brun ne va pas se jeter sur lui.

— Est-ce que vous insinuez qu'il a peur de moi ? Que je serais capable de le frapper ?

— Quoi ? s'écrie le psychologue, mais sa voix déraille. Non, bien sûr que non !

— Alexander, je t'en prie... Calme-toi...

— Ah non ! Toi, ferme-la ! J'ai toutes les raisons d'être hors de moi ! Et tu sais quoi ? Oui, j'ai une question !

— Laquelle ? souffle l'asiatique, incertain.

— T'as pris ton pied ? C'était mieux qu'avec moi ?

Leurs yeux se croisent, pour la première fois de la séance. La tension est toujours palpable. Magnus déglutit difficilement avant de répondre :

— C'était... différent.

À peine a-t-il fini sa phrase que la main de son mari s'abat sur son visage. Le brun se lève et sort avant que le psychologue ait le temps de réagir. Quand il comprend ce qui vient de se passer, il se lève pour venir s'asseoir à côté de l'indonésien.

— Magnus ? Vous m'entendez ?

L'interpellé hoche la tête, les yeux fermés pour retenir ses larmes. Le bas de sa joue est cramoisi à cause du coup porté par Alec et le professionnel vient y passer ses doigts, délicatement. Magnus frémit, échappant un petit gémissement de douleur. Il rouvre ses yeux chocolat pour regarder le psychologue qui le dévore des yeux sans pudeur.

— Vous ne devriez pas le laisser vous traiter comme ça, souffle l'homme en s'approchant un peu.

— C'est de ma faute, c'est moi qui l'ai trompé, se blâme l'indonésien, la voix tremblante. Je n'aurais pas dû.

— Mais parfois, on en a besoin... C'est naturel.

La main du professionnel se glisse sur la cuisse de l'indonésien.

Extralucid Love - 2. Un fantôme du passé [Malec AU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant