Partie 2 - Chapitre 6

840 34 14
                                    

« Ila !! »

Je me retournai vers la voix aiguë qui avait crié mon nom. Je me mis à sourire en voyant le visage joyeux de Luisa. Elle s'empressa de défaire le tablier blanc qui entourait sa taille et accourut à ma rencontre.

Elle se jeta dans mes bras et m'enlaça. Surprise par ce geste de douceur, je partageais son étreinte.

« Ça fait du bien de te revoir » avouai-je alors qu'elle se défaisait de moi.

Elle me lança un sourire intimidé.

« Tu pars toujours dans des endroits impossibles... Arrêtes de nous quitter ! » lança-t-elle avec amusement.

Gênée, je bredouillais une réponse intelligible. Luisa n'était pas le genre de personne qui pouvait comprendre mon besoin de fuir cet endroit.

« Comment était Yeison ? » s'empressa-t-elle de demander.

Je détournai aussitôt le regard. Je savais que Luisa attendait des informations croustillantes sur ma prétendue longue absence. Elle se devait d'alimenter les commérages de la colonie. C'était un besoin irrépressible que la plupart des femmes ici ressentait.

Jetant un coup d'œil au hangar, je vis que je ne m'étais pas trompée. Parmi les femmes présentes dans la pièce, certaines avaient cessé d'éplucher les légumes devant elles pour écouter avec plus d'attention la conversation que je m'apprêtais à avoir avec Luisa. D'autres faisaient mine de continuer mais ne trompaient personne avec leur lenteur et leurs gestes inhabituellement maladroits.

« Et si je te racontai ça à midi ? » tentai-je.

Luisa eut l'air déçue, alors je rajoutai, plus doucement.

« Je pourrais tout te raconter » ajoutai-je malicieusement en insistant sur le « tout ».

Elle acquiesça à contrecœur et me désigna le sac de légume que je devais éplucher. Je savais que de gros travaux en cuisine nous attendait. La saison sèche, particulièrement torride dans la jungle, nous forçait à accumuler de grandes provisions pour tenir jusqu'en mars. Ainsi, pendant plusieurs semaines, j'avais cru comprendre que nous allions passer le plus clair de notre temps à préparer des conserves.

Tout cela pour faire marcher cette colonie.

Je soupirai de désespoir alors que je m'attaquai aux dizaines de carottes que contenait mon sac. J'avais toujours apprécié l'été en Colombie, janvier et février étaient mes mois préférés. Mais je n'avais jamais passé cette période en plein milieu de la jungle et je redoutais cela. Les températures étaient déjà élevées. Je n'osais imaginer ce qu'il serait dans quelques semaines.

Je m'inquiétais peu pour l'eau. La colonie était construite au-dessus d'une nappe phréatique âgée de quelques milliers d'années. Je savais qu'il existait un système de pompage plutôt avancé qu'un ingénieur avait conçu au tout début de la formation de la secte. J'ignorais son identité mais je savais qu'il était encore présent ici. Luisa me l'avait confirmé, un jour où nous travaillions à la laverie et que je m'étonnais de la quantité d'eau que nous pouvions utiliser.

Je repensais à cette conversation qui datait de quelques semaines. La curiosité d'aller un jour visiter ce système de pompe grandissait en moi. J'ignorais où cela pouvait se trouver exactement mais j'imaginais que César avait fait en sorte qu'il soit à proximité de son habitation. Je penserai à lui demander la prochaine fois. Je pouvais me permettre de lui demander. Après tout, j'estimais que je lui avais suffisamment montré que l'envie de fuir la colonie m'avait passée.

A peine deux heures plus tard, la sonnerie indiquant la pause de midi retentit. Je levai la tête et croisai directement le regard de Luisa. J'imaginais qu'elle trépignait déjà d'impatience d'écouter ce que j'avais à lui raconter.

ColoniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant