12 - Vie de famille

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Thorn paraissait de moins en moins réticent à passer du temps avec sa cousine. Il avait même consenti à lui offrir une paire de ses dés, pour peu qu'il put lui apprendre les bases de l'algèbre grâce à eux. Animée de l'esprit vif de sa mère, la fillette avait tout de suite aimé les chiffres et les opérations mathématiques.

Un jour qu'Ophélie regardait la grande silhouette de Thorn se plier pour se mettre à la hauteur de Victoire, elle sentit son cœur se serrer. Elle ne pourrait pas offrir d'enfants à son époux. Même si le temps avait passé et qu'il ne lui en avait jamais tenu rigueur, au fond d'elle-même Ophélie ne pouvait totalement se pardonner.

Farouk passait de temps en temps au domaine, consacrant quelques heures à ses obligations paternelles. Depuis qu'Elizabeth/Eulalie avait réécrit les Livres, les esprits de famille étaient moins éthérés et oublieux. La présence de cette nouvelle famille avait aussi été salutaire à Farouk, qui paraissait grandir intérieurement en parallèle à sa fille.

Après la dernière visite de l'esprit de famille, Ophélie puisât dans tout son courage pour avoir une discussion avec Thorn. Elle le vit passer dans le hall de la maison. Il marchait presque normalement désormais, sans l'aide de sa canne, sa prothèse était comme devenue l'extension naturelle de sa jambe estropiée. Les médecins Alchimistes avaient fait des merveilles.

Ophélie l'appela, et ils s'isolèrent dans leur chambre pour ne pas être dérangés.

- Tu t'accommodes de mieux en mieux à la présence de Victoire, constata-t-elle. Elle semble apprécier ton jeu de dés.

Le regard de Thorn se fit interrogatif, il répondit simplement :

- Si je peux inculquer à cette gamine des notions éducatives arithmétiques, cela lui sera utile un jour ou l'autre.

Ophélie hésita, ne sachant comment exprimer son appréhension. Elle tordit ses mains, faisant craquer le cuir de ses gants de liseuse.

- Farouk semble apprécier le temps qu'ils passent ensemble, dit-elle, peut-être n'est-il pas un si mauvais père après tout.

Les sourcils de Thorn se froncèrent.

- Il est plus enfant que sa propre fille. Mais c'est vrai qu'elle semble toujours heureuse de le voir arriver.

Il fit une pause, puis demanda :

- C'est de cela dont tu voulais me parler?

- Ça ne te manquera pas, tu crois?

Thorn planta ses yeux d'acier dans les lunettes d'Ophélie.

- Que veux tu dire? J'avoue ne pas comprendre où tu veux en venir. Parle moi franchement.

Des frissons remontèrent le long de la colonne vertébrale d'Ophélie, et ce fut d'un timbre prêt à casser qu'elle reprit.

- Être père... Est-ce-que ça ne va pas te manquer? Tu m'avais avoué ne pas aimer les enfants et ne pas en vouloir, mais plus je te regarde avec Victoire, et plus je suis certaine que tu serais un père formidable.

Sa voix se brisa, des sanglots accompagnèrent ses derniers mots.

- Je ne peux pas... Je suis incapable... de t'offrir une famille...

Avec des gestes doux, Thorn l'assit sur un fauteuil et s'accroupît devant elle. Il remonta les boucles qui tombaient devant son visage, et essuya ses larmes d'un mouchoir qu'il sortit de sa poche.

- Tu es ma famille. Tu es tout ce dont j'ai besoin.

- Je te prive de tellement, sanglota-t-elle, tu mérites de jouer avec tes propres enfants, de les voir grandir, de leur apprendre la vie.

- Je n'ai besoin de rien d'autre que toi, je te le promets. Il hésita. C'est peut-être toi qui veux plus.

Les pleurs d'Ophélie s'intensifièrent et ses épaules s'affaissèrent. Thorn l'entoura de ses bras noueux, comme pour absorber tout son chagrin, et elle s'accrocha à lui, tel une bouée qui la guiderait hors de la tempête.

Plusieurs minutes passèrent ainsi avant qu'Ophélie ne reprit son calme.

- Je te demande pardon, hoqueta sa voix cassée par le chagrin.

- Tu n'as pas à t'excuser, la rassura Thorn. Ce n'est pas de ta faute si tu ne peux pas avoir de marmots et je t'assure que je ne t'en blâmerai jamais. Victoire n'est pas un substitut pour moi. Je veux juste remercier ma tante de m'avoir élevé en aidant sa fille.

- Elle t'aime beaucoup tu sais, Victoire, et je peux la comprendre.

- N'oublie jamais, admonesta Thorn, tu peux me parler de tout. Ton bonheur est essentiel pour moi. Nous pouvons partir dès demain si cela te fait te sentir mieux.

Ophélie objecta aussitôt.

- Non. Victoire et Berenilde font aussi partie de notre famille. Je suis contente de voir les liens que tu tisses avec ta cousine. Restons auprès d'elles. Après une hésitation elle ajouta : Crois-tu que nous devrions annoncer à nos proches que nous n'aurons jamais d'enfant?

- C'est ton corps, toi seule peut décider à qui en parler. Je te soutiendrais quel que soit ton choix, lui assura Thorn en serrant les petits gants de la liseuse dans ses grandes mains.

Le sourire revint sur les lèvres d'Ophélie.

- C'est notre choix.

- Tu n'en a pas parlé à ta famille après ma disparition?

- Non, entre le choc de t'avoir perdu et la complexité du monde après la réunification de l'Endroit et de l'Envers, je n'en ai eu ni le temps ni l'envie. Et puis ils ne me comprenaient pas. J'espère que les choses seront différentes maintenant que nous sommes réunis.

Les moments passés avec Berenilde, Victoire et Roseline avaient rendu à Ophélie un semblant de vie sociale et familiale. Elle sut qu'elle ne devait plus tarder à reprendre contact avec Anima. Jusqu'à présent, sa marraine avait respecté son choix de ne pas les prévenir du retour de Thorn, mais il était temps de renouer les liens avec ses parents, frère, sœurs, cousins, oncles et tantes.

Ce fut Thorn qui interrompit sa réflexion.

- Veux-tu que je t'apporte une tasse de café, tu as l'air épuisée.

- Descendons plutôt, j'ai envie de sortir un peu.

Elle se leva avant de continuer, sa décision prise.

- Je dois envoyer un télégramme à Anima. J'ai repoussé trop longtemps le moment de me confronter à ma famille.

La passe-miroir : conclusion (alternative)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant