24 - Le dîner

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Ils gagnaient le bas de l'escalier quand Agathe et sa famille arrivèrent. La sœur ainée d'Ophélie était précédée de ses 3 plus grands enfants et Charles suivait avec la petite dernière dans ses bras. Agathe se précipita vers elle quand elle l'aperçut.

- Petite sœur! Ça me fait tellement plaisir de te voir, s'écria-t-elle en prenant Ophélie dans ses bras.

- Moi aussi, lui répondit la brunette.

- J'ai reçu tes lettres, mais te voir en personne c'est bien plus agréable! Et tu as retrouvé ton M. Thorn, ajouta-t-elle en se tournant vers la silhouette droite et rigide qui esquissa un « bonjour ».

Les garçons d'Agathe s'étaient précipités vers la cuisine, Charles s'avança vers le couple et les salua.

- Voici Louise, ta nièce, leur présenta Agathe.

La petite fille babilla en souriant et tendit ses bras potelés vers Ophélie.

- Elle a l'air de t'apprécier, remarqua sa mère. Veux-tu la porter?

Ophélie hésita, regarda le bébé roux et rieur puis hocha la tête. Charles s'approcha et lui plaça la petite Louise dans les bras.

- Viens Charles, allons voir si maman a besoin d'aide, annonça Agathe en quittant la pièce, son mari sur les talons.

Le silence retomba dans l'entrée, seulement troublé par les vagissements du bébé. Ophélie regarda sa nièce, attendrie par son visage serein et joyeux. Elle sentit la main de Thorn se poser sur son épaule et dut se faire violence pour ne pas penser au fait qu'ils n'auraient jamais droit à tout ça. Elle se retourna vers lui.

- Louise, c'est Thorn, ton oncle.

La petite le regarda en continuant à sourire, et il se raidit. Ophélie savait que les enfants le mettaient mal à l'aise, mais elle ne put résister et s'approcha. Sa nièce dévisagea le géant qui était devant elle et se mit à rire. Surpris, Thorn fronça les sourcils, ce qui accentua l'amusement du bébé qui leva les mains vers lui. Il eut un mouvement de recul alors qu'elle frôlait sa veste. Les réflexes de Louise furent plus rapides et elle réussit à attraper le bord du tissu. Thorn se figea immédiatement, pour ne pas risquer de la blesser en tirant sur sa prise. Elle balbutia en jouant avec l'étoffe. D'un mouvement presque instinctif qui le surprit encore plus lui-même qu'Ophélie, Thorn souleva son bras et tendit un long doigt noueux vers la petite main qui lâcha la veste pour s'y accrocher. En un instant, la grande silhouette sembla se transformer en une statue de glace. Alors que son corps se paralysait, une myriade d'infimes expressions traversèrent son visage à une telle vitesse qu'Ophélie ne put en identifier aucune. Le temps parut se suspendre à ce simple contact : l'innocence d'un nourrisson contre la froideur apparente d'un inadapté social. Le moment fut interrompu quand Louise relâcha Thorn pour s'intéresser à un rayon de soleil qui dansait au plafond.
Ophélie reprenait lentement contact avec la réalité quand elle réalisa qu'une partie de sa famille les observait depuis l'encadrement de la porte de la cuisine. Elle voyait l'étonnement peint sur leurs visages et put presque entendre leurs pensées : l'ancien intendant, si dur et polaire, qui leur avait enlevé Ophélie si brutalement, avait bien un cœur et pouvait se comporter avec humanité et douceur. Elle se mit à sourire, elle savait que son fiancé arriverait à leur faire bonne impression, même si c'était malgré lui. Il fallait juste voir au delà du mur de glace dont il s'entourait pour éloigner le monde. Thorn prit conscience des regards fixés sur lui, fronça les sourcils et se racla la gorge. Il semblait bouleversé par ce qui venait de se passer. Roseline, qui n'avait pas assisté à la scène, s'approcha et brisa le silence.

- Nous pouvons passer à table.

Ils se dirigèrent tous vers la salle à manger, alors qu'Ophélie et Thorn restaient en arrière.

- Tout va bien? Lui demanda-t-elle.

Il ne répondit pas, se contentant de frotter le doigt que Louise avait attrapé.

- Thorn ? Insista-t-elle

- Ça va, grogna-t-il doucement.

Elle hocha la tête et s'avança vers sa famille, suivie par Thorn. Charles reprit sa fille pour lui donner le biberon qu'il venait de préparer et les Animistes s'installèrent autour de la table pour dîner. Les deux fiancés s'assirent côte à côte, et tous les regards se tournèrent vers eux. Ophélie dut résumer la discussion de l'après-midi pour ceux qui n'y avaient pas assisté. Thorn s'était muré dans un mutisme total, et mangeait du bout des lèvres. À l'annonce du mariage à venir, les quatre sœurs d'Ophélie furent ravies, surtout Agathe qui était encore traumatisée que sa cadette ait du subir une première union dans une cellule de prison, sans belle robe blanche ou présence de ses proches. Quand la question de la date et du lieu de la cérémonie fut lancée, la liseuse hésita puis annonça qu'il se tiendrait assez rapidement et sûrement à Babel-la-Neuve. Des exclamations fusèrent autour de la table : indignation de sa mère, ravissement des plus jeunes à l'idée de voyager, rire du grand-oncle, interrogations d'Agathe. La réunion tournait à la pagaille désorganisée. Ce fut Thorn qui rétablit le silence en prenant la parole d'une voix forte qui s'éleva dans le brouhaha ambiant.

- Nous nous marierons où Ophélie le voudra, c'est notre choix, pas le vôtre.

- Il a raison, reconnut Roseline, c'est au couple de décider. Et puis ça nous fera du bien de prendre un peu de vacances tous ensemble.

La tension redescendit dans la pièce et le repas continua plus calmement. La discussion resta sur le mariage, et l'organisation à prévoir. Les fiancés souhaitaient un événement plutôt simple et intime, mais ils laissèrent les Animistes rêver de leurs projets d'une cérémonie grandiose aux invités nombreux et aux décorations travaillées. Les sœurs d'Ophélie imaginaient leurs toilettes toutes en sophistication, leurs bijoux, leurs coiffures ou encore les chapeaux qu'elles allaient porter pour l'occasion. Quand le dîner se termina, il était tard et l'ambiance était devenue joyeuse.

Thorn, Ophélie et Roseline allèrent rapidement se coucher, épuisés par le voyage depuis le Pôle. Sous le regard amusé de sa marraine, Ophélie se joignit à Thorn dans la chambre d'Hector.

- Bonne nuit à vous deux, leur dit l'Animiste.

- Bonne nuit ma tante, répondit sa nièce.

La passe-miroir : conclusion (alternative)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant