21 - Anima

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Lorsque l'aérostat se posa enfin à la station d'Anima, en une fin d'après-midi ensoleillée, Ophélie et Thorn se retrouvèrent projetés neuf ans en arrière, un soir d'hiver pluvieux où deux fiancés s'étaient rencontrés pour la première fois. Comme le temps avait passé, et comme ils avaient changé depuis ce jour-là, intérieurement et extérieurement. Et pourtant ils étaient à nouveau là tous les deux, à nouveau fiancés.

La plongée dans les souvenirs fut interrompue par la présence sur la plateforme des parents d'Ophélie, accompagnés par Hector et ses trois petites sœurs. Le garçon était maintenant un jeune homme, dont la taille dépassait celle d'Ophélie depuis longtemps. Il se jeta toutefois dans les bras de son aînée dès qu'il la vit descendre. Domitille, Léonore et Béatrice, belles adolescentes rousses, firent de même. Heureuse de les revoir, Ophélie leur rendit leur étreinte silencieusement, pendant qu'ils lançaient de joyeux « bonjour ». Thorn resta en retrait et Roseline s'approcha de sa sœur. Cette dernière était vêtue comme à son habitude d'une ample robe rouge et quelques cheveux blancs striaient le roux de son chignon.

- Bonjour Sophie ! Ça fait bien longtemps que nous ne nous sommes pas vues, comment vas-tu ?

La mère d'Ophélie répondit machinalement, avant de tourner un regard courroucé vers sa fille. L'accueil était froid.

- Te voilà enfin, dit-elle d'un ton agacé, tu daignes finalement revenir nous voir après tout ce temps à vadrouiller on ne sait où.

- Bonjour maman, je suis ravie de vous voir moi aussi, ironisa Ophélie.

- Tu n'es pas venue seule, ajouta la matriarche en jetant un coup d'œil méprisant à Thorn.

- Thorn fait partie de ma famille. Je vous avais prévenue dans ma lettre qu'il serait avec moi et que nous aurions à vous parler.

Sentant le ton de la conversation tourner à l'orage, le père d'Ophélie s'approcha et enlaça sa fille, puis tendit une main à Thorn qui la serra.

- Bienvenue à tous les deux, si nous allions à la maison ? Nous serons plus à l'aise pour discuter.

Deux fiacres attendaient un peu plus loin. Ophélie se dirigea vers l'un d'entre eux, entourée par sa fratrie et suivie de Thorn qui s'était chargé de leurs bagages. Le deuxième véhicule fut investi par les parents et la tante de la liseuse. Domitille, Léonore et Béatrice profitèrent du trajet pour bombarder leur sœur de questions.

- Vous avez fait bon voyage ?

- Tu étais au Pôle ?

- Tu reviens vivre avec nous ?

- Comment as tu retrouvé ton mari ?

Thorn, qui avait recroquevillé de son mieux son grand squelette dans un coin de la cabine se demandait comment ces trois gamines pouvaient se montrer aussi bruyantes et intrusives. Hector le fixait à la dérobée en silence. La phase « pourquoi » du jeune homme était passée, mais de nombreuses questions emplissaient son esprit. Ophélie débordée par l'attention de ses sœurs et la foule de leurs interrogations ne put répondre à aucune d'entre elles et se mit à rire. Cela lui faisait du bien de les retrouver.

- Calmez vous ! Je vous expliquerai tout, mais je dois d'abord parler avec papa et maman.

Ses sœurs ne cachèrent pas leur déception.

- Je vous ai apporté un cadeau, si vous êtes sages jusqu'à notre arrivée je vous le donnerai à la maison.

Des exclamations ravies fusèrent et elles se mirent à débattre entre elles de ce que leur sœur pouvait bien leur avoir ramené. Ophélie profita de l'accalmie pour observer Thorn. Il semblait mal à l'aise. La présence des adolescentes, mais bien plus encore celle d'une famille aimante, lui faisait perdre tous ses repères. Ophélie capta son regard et lui sourit doucement pour le rassurer.

Quelques minutes plus tard les deux véhicules s'arrêtaient devant la maison familiale. La petite troupe descendit et rentra dans la demeure. La nostalgie prit Ophélie à la gorge. Les y attendait le grand-oncle qui accueillit sa filleule avec joie.

- Ça faisait trop longtemps ! Tu m'as manqué !

Le sentiment était partagé et Ophélie se rendit compte comme la séparation d'avec sa famille l'avait touchée plus qu'elle ne le croyait. Elle ne les laisserait plus s'éloigner autant à présent. Mais avant de penser au futur, il fallait mettre la situation à plat. L'archiviste salua Thorn qui était resté à l'entrée de la pièce, droit comme un piquet.

- Vous revoilà aussi. Si la p'tite vous a cherché autant, c'est que vous devez être bien pour elle. Un sacré caractère qu'elle a, je lui fais confiance pour faire les bons choix.

Thorn acquiesça et Ophélie remarqua une infime ride au coin de ses yeux et un léger plissement de ses lèvres. Elle savait qu'il ne le reconnaitrait jamais en public, mais les paroles de son parrain avaient touché son fiancé.

Une tornade rouge déboula au milieu de la pièce et distribua ses ordres.

- Les filles, allez dans votre chambre, les adultes ont à discuter. Agathe nous rejoindra pour le dîner avec Charles et les enfants. Ophélie, ton lit est prêt dans ton ancienne chambre et M. Thorn vous dormirez dans celle d'Hector. Vous pouvez monter vous installer.

Roseline ouvrit la bouche pour intervenir sur la répartition des chambres, mais sa filleule lui fit signe de ne rien dire. Elle ne voulait pas se disputer avec sa mère à peine arrivée. Ils montèrent donc et Ophélie guida Thorn vers la chambre de son frère où il déposa leurs affaires. Elle s'assit lourdement sur le lit.

- Maintenant nous ne pouvons plus y échapper, il va falloir tout leur raconter.

- Je suis là avec toi, la rassura Thorn en lui serrant une épaule.

Ophélie posa une main gantée sur la sienne, prit une profonde inspiration et se redressa avec résolution.

- Descendons, plus vite nous seront débarrassés de tout ça, mieux ce sera.

La passe-miroir : conclusion (alternative)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant