Chapitre 1

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Il était trop tôt pour que mes pensées soient claires. 

Les fenêtres de ma chambre étaient grandes ouvertes, laissant une douce brise pénétrer dans la pièce. J'essayais de me rafraîchir l'esprit, à la fois excité et embrumé. 

Le calme d'Amsterdam était apaisant, pourtant si peu habituel. En ce cinq janvier, à quatre heures du matin, le froid hivernal avait poussé la foule à se retrancher hors des boîtes de nuits qui rythmaient les nuits d'été. Amsterdam était la ville des rencontres et de la fête. Au milieu des tulipes, il y avait cette immuable joie qui rayonnait dans laquelle je n'avais jamais eu l'opportunité de me noyer. 

Mon père et moi vivions dans un hôtel particulier, au cœur de la ville. Comme une prison dorée, cet espace magnifique occultait une obscurité profonde. Je rêvais de vivre à Monaco aux côtés de mon frère. Autant que possible, il passait du temps avec moi à Amsterdam, mais il avait sa vie et je ne pouvais pas m'y immiscer. Je n'avais pas le droit de vivre seule qui plus est, même si j'en mourrais d'envie. 

Je rêvais de me baigner dans la mer. 

— Tu es prête Ama ? questionna mon frère que je n'avais pas entendu entrer. Je rêve, râla-t-il. 

Entre-temps je m'étais assise sur le rebord de la fenêtre, observant, paresseuse, la ville endormie. Mes yeux devaient certainement papillonner de manière exagérée. 

Il me lança mon manteau, qui était par ailleurs identique au sien. Mis à part ce manteau similaire, notre ressemblance était évidente. Nous avions les yeux bleus, les cheveux blond foncé, bien que légèrement décolorés pour ma part, et nous avions la même chevalière sur le majeur droit. 

Néanmoins, notre différence physique se tenait dans le fait qu'il me dépassait d'une quinzaine de centimètres tout au moins. Max était très grand, même plus que papa. 

— On se réveille chouchou, s'adoucit-il. Papa nous attend. 

En bâillant légèrement, je me remis sur pieds. Max avait attrapé ma valise, bouclée depuis un petit moment. A une heure pareille, il était déjà sur les chapeaux de roues.

— Je peux avoir un café ? demandai-je. 

Il fronça les sourcils. 

— Papa déteste quand tu bois du café... 

Un soupir traversa la barrière de mes lèvres, mais je veillai à ce qu'il ne s'entende pas plus que cela. 

Cette règle était stupide. Le café, outre le danger de dépendance qu'il présentait, offrait des bienfaits en termes de concentration et d'énergie. Aujourd'hui, j'allais en avoir grandement besoin. 

— En un sens, c'est de sa faute si je suis fatiguée, expliquai-je en un haussement d'épaules. 

Pour notre voyage à Milton Keynes, mon père avait tenu à nous y accompagner en voiture, alors qu'un trajet en avion aurait été beaucoup plus simple et, surtout, beaucoup plus court. Prendre l'avion aurait cependant impliqué que je voyage seule avec Max. Bien que papa ait une entière confiance en son fils, il ne manquait pas une occasion de m'avoir à l'oeil. 

— Il va faire des histoires s'il te voit avec un café, me raisonna-t-il. 

— Mais si c'est toi qu'il voit ? 

Il comprit mon allusion et roula des yeux. 

— Je vais en faire un et lui dire de patienter dans la voiture. T'as intérêt à le boire vite, capitula-t-il.

Victorieuse, je souris. Cette situation paraissait une mascarade, mais finalement pas que tant ça. Elle représentait symboliquement la vie que je menais. Ma vie était comme cette tasse de café, inaccessible, difficile, mais pourtant terriblement attrayante. La métaphore du café était lugubre, en même temps fascinante. 

ANATHÈME ; Pierre GaslyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant