Chapitre 15

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L'heure du départ pour Barcelone avait sonné. 

A la fin de la matinée, nous prîmes place dans l'avion de l'écurie. Pierre avait une main dissimulée dans mon dos, ce qui nous valait des regards interrogateurs de la part de l'équipe, mais il n'y avait rien à dire, rien à confier. S'il avait une main dans mon dos, c'était pour s'assurer que je ne tombe pas. 

Seuls Pyry et Martina savaient, et c'était mieux comme ça. 

Je m'installai dans un siège, non loin du français. 

— J'ai reçu énormément d'appels et de messages de la part de ton père, m'indiqua Graham, en faisant tourner son cellulaire dans ses mains. 

— J'imagine, déclarai-je. 

— Pourquoi tu ne lui donnes pas de nouvelles ? tenta-t-il. 

— Graham arrête, intervint Gasly. S'il te plaît. 

Le team manager hocha la tête et finit par se taire. Néanmoins, je ne lui en voulais pas. Il ne pouvait pas s'imaginer ce que mon père avait été capable de faire, personne ne le pouvait. Je lui adressai un sourire désolé, tandis que l'avion menait sa route jusqu'au ciel. 

Je commençai une nouvelle conversation avec Graham, notamment pour m'informer sur les différentes modifications qui seraient faites sur la voiture pour ce week-end. Il me montra des images ainsi que des graphiques ; l'incident fut rapidement mis de côté. La course de dimanche était ce sur quoi nous devions nous concentrer. Non seulement Pierre et moi avions dégringolé au championnat des pilotes, mais l'écurie se trouvait derrière Haas au classement constructeur. 

Loin de moi était l'envie de dénigrer les autres équipes. 

Mais Haas, quoi. 

C'était clairement la honte. 

Dans la voiture nous menant jusqu'au circuit, je fermai les yeux, commençant à faire des mouvements avec mes doigts. Je me remémorais les différentes manipulations à réaliser avec le volant, même si je ne les oubliais jamais. Dans mes veines ruisselaient les techniques de pilotage, l'expérience que j'avais acquise au fil des années. Il me fallait bien plus qu'un choc émotionnel pour tout oublier. Si mon cerveau ne suivait plus, mes mains prendraient le relais. 

On disait du pianiste qu'il n'avait pas besoin de réfléchir quand il jouait, que la pulpe de ses doigts savait retranscrire l'histoire sans qu'elle ait besoin d'être répétée. J'aimais penser que dans chaque pilote résidait une âme de pianiste, et j'adorais cette osmose que ces deux passions créaient en moi. 

Je me demandais si mon frère avait déjà joué du piano, s'il avait déjà laissé l'art exprimer ses pensées les plus barbares. 

Lorsque Montmeló s'éleva devant nous, je pinçai fortement mes lèvres. A l'intérieur, j'étais certaine qu'il y avait déjà des journalistes, que j'allais être assaillie de questions. A l'intérieur, je savais qu'il y avait mon frère et mon ennemi le plus réel, mon père. 

Je voulais m'enfuir. Mais j'avais déjà fui, le moment était venu de voir la réalité en face.  

Je sortis du véhicule en compagnie de Pierre et pénétrai dans le paddock, le badge glissé autour du cou. Je fis mine de discuter avec mon coéquipier, à chaque fois qu'une caméra n'était pas loin. Je voulais arriver le plus vite possible à l'hospitalité AlphaTauri ; bien sûr elle était à l'autre extrémité.  

— Amaryllis ! m'appela-t-on. 

Je me retournai et cherchai du regard la personne qui venait de m'interpeller. Je ne mis pas longtemps à reconnaître le monégasque, tout de rouge vêtu. Il descendit les escaliers le séparant de l'allée principale du paddock et nous rejoignit. 

ANATHÈME ; Pierre GaslyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant