Chapitre 12

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Je restai partiellement muette, tout au long du repas. Le mutisme m'empêchait aujourd'hui d'exploser, et de regretter tout ce que j'aurais pu dire. Mais je n'attendais que ça, parler et être entendue, même s'il fallait être particulièrement bien accroché pour m'écouter. 

Finalement, nous passâmes le reste de l'après-midi dans ce même restaurant, en compagnie de la famille Rosalía Lastreto. Le début de soirée commença à me peser sur la conscience, tout comme le regard aguicheur d'Andrés.

Il avait le droit de tout sur moi, comme l'avait mon père. 

Je ne voulais pas que ça recommence. Que mes nuits blanches soient parsemées d'une nouvelle ombre infâme, j'en avais la mort dans l'âme. 

Je sortis du salon et m'assis sur un banc, présent dans le jardin du restaurant. J'avais besoin d'air, quelque chose qui puisse me réanimer. Je posai mon poing contre ma cage thoracique, comme s'il était capable de réduire les battements incessants de mon cœur ankylosé. Qu'en serait-il s'il venait à imploser ? Tâcherait-il le monde de ses atrocités ? 

J'avais mal. 

Je fixais la fontaine au centre du jardin, tentant de trouver une certaine accalmie dans la musique de l'eau et au bout d'un instant, une personne prit place à côté de moi.

— C'était beau, tout à l'heure.

Je baissai les yeux sur les mains du jeune homme qui s'était assis ; il jouait avec une bague vissée à son auriculaire. Je remontai jusqu'à son visage et constatai que je n'avais pas rêvé tout à l'heure. 

Charles Leclerc était bien là, face à moi. 

Je le regardai longuement, sans un mot, les mains tremblantes par une anxiété incohérente qui ruisselait le long de mes veines. Il fronça les sourcils, décrochant le bouton de son costume qui semblait un peu trop apprêté pour lui. Cela me rappelait que je n'étais pas non plus à l'aise dans la tenue que je portais. 

— Tout va bien ? dit-il en s'attardant sur mes mains. 

Je pris une grande inspiration, alors que l'oxygène semblait me manquer depuis de longues minutes déjà. 

— Je veux partir d'ici, décrochai-je en français. Aide-moi à fuir, s'il te plaît.

Il resta bouche-bée, les yeux écarquillés, sans comprendre la signification de mes paroles. La bombe était sur le point d'exploser, je devais partir, pour un moment. Il était le seul à pouvoir m'aider, maintenant.

Je déposai ma main sur son bras, tandis que ma respiration se faisait plus haletante. Je n'avais jamais laissé mes émotions transparaître devant qui que ce soit, mais j'étais à la limite du précipice, à la limite de succomber à une profonde crise de panique. Le monde se mettait à tourner, la torpeur à me ronger.

Là, il comprit.

Charles glissa son bras dans mon dos et me conduisit jusqu'à son véhicule. Ce dernier n'était pas discret, et je me disais que, peut-être, derrière la fenêtre, il y avait le regard atterré de mon père. J'enclenchai la ceinture, agrippée à la portière. 

— Parle-moi Amaryllis, m'encouragea-t-il. 

— Roule Charles, où tu veux mais roule, l'ignorais-je. 

Il actionna le moteur de sa Ferrari et s'engagea sur un axe à grande vitesse. Je sentais la pression redescendre à mesure que l'on s'éloignait du restaurant, mais j'avais toujours cette envie impossible de pleurer toutes les larmes de mon corps, alors que ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps.

Il s'arrêta après une quinzaine de minutes sur une aire d'autoroute. Il me toisait du regard, attendant des explications qui paraissaient nécessaires. Moi, je n'étais plus capable de rien, plus capable de faire semblant. Je me mis à pleurer, à cœur ouvert, les mains serrées sur mes cuisses, parce qu'il était sûrement le seul à pouvoir comprendre ma souffrance à ce moment-là.

ANATHÈME ; Pierre GaslyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant