Chapitre 8

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Au petit matin, la porte de la maison avait claqué suffisamment fort pour que je me réveille en un sursaut. 

Le week-end à Melbourne avait été épuisant, loin de mes attentes puisque j'avais terminé la course à la douzième position. Néanmoins, je ne parvenais pas à dormir, à la manière d'un animal restant indéfiniment sur ses gardes. 

Pour une petite semaine, j'étais de retour chez moi à Amsterdam avec mon père. Max était rentré à Monaco. Il avait besoin d'encaisser le DNF et la victoire de Leclerc, en plus du mécontentement avéré de mon géniteur. Nous étions mardi, et depuis dimanche, c'était silence radio. Il n'avait pas appelé papa, ce qui n'était d'ailleurs pas quelque chose à faire, mais il ne m'avait pas appelé non plus. Max savait qu'il pouvait compter sur mon soutien. Avait-il la même valeur depuis que nous courrions dans la même catégorie ? Je n'en étais que peu certaine. Malgré nos volontés réciproques, la concurrence s'installait entre nous, par l'intermédiaire des médias, des fans. On nous comparait inlassablement, on pointait du doigt mes premières performances qui n'avaient rien à voir avec celles du champion du monde. Certains disaient que j'avais une meilleure prise en main du véhicule, d'autres disaient que ma place était au fond de la grille, comme Nicholas Latifi. 

Max avait beau avoir grandi, il conservait son caractère fermé et imprévisible, obnubilé par la gloire éternelle, et l'insatisfaction durable de Jos. 

Ce matin, j'étais enfin seule à la maison. Je me précipitai hors du lit, décidée à profiter de ces instants seule, beaucoup trop rares à mon goût. J'enfilai une robe blanche avec un motif fleuri, m'arrivant à la mi-cuisse. Quand il n'était pas là, je profitais des prémices d'une liberté que je voulais pour la vie. 

Je récupérai une pochette, remplie de partitions et de papiers en tout genre, avant de me diriger vers la bibliothèque, où trônait un immense piano à queue. 

La musique était une passion commune dans une famille comme la mienne, une passion un peu stéréotypée peut-être. A part jouer aux cartes et organiser des bals, il était connu que les aristocrates ne savaient pas comment occuper leurs journées.

Misère.  

J'aimais jouer du piano, autant que j'aimais conduire ma monoplace. En revanche, j'avais toujours refuser de jouer devant mon père et mon frère. Pratiquer cet art était mon jardin secret, l'endroit où mon âme pouvait crier sans que je n'eus la faiblesse de l'arrêter. 

J'ouvris la fenêtre de la bibliothèque, laissant l'air frais du matin pénétrer dans la pièce. Je m'installai face aux touches, ayant préalablement déposé les partitions au-dessus. Je commençai à échauffer mes doigts. Les frissons m'envahirent instantanément, respirant aussi bien la mélodie puissante des blanches que celle des noires. It'll be okay de Shawn Mendes s'immisça sous mes mains habiles, alors que je jetai des coups d'oeil vers la partition. Au final, mes paupières finirent par se fermer, mon cerveau connaissant la musique par cœur. 

Je fredonnais les paroles, un chuchotement presque inaudible. Je ne savais pas chanter, ou plutôt je n'avais jamais eu le courage de le faire. Je n'arrivais pas à sortir ma souffrance de manière orale, c'était trop dur, j'avais peur des dégâts que mes confidences pouvaient engendrer sur moi, mon entourage, mon environnement. Maman me disait que même les prières silencieuses pouvaient être entendues. Puisse un jour ce murmure traverser la frontière du silence. 

Je me remémorais la soirée avec Pierre, ce moment où je m'étais sentie vivante et ô combien comprise. Sans que je ne le contrôle, mes mains s'étaient mises à marteler le clavier avec davantage d'insistance. 

Ça va aller. 

La porte claqua à nouveau. Je m'arrêtai brusquement et fermai le piano. Je repris mes partitions, fermai la fenêtre de la bibliothèque et entrepris de sortir de la petite salle. Mais les pas lourds de mon père dans les escaliers m'arrêtèrent dans ma démarche, et je restai près de la porte, sans un bruit. 

ANATHÈME ; Pierre GaslyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant