Pour quelques heures, j'étais revenue dans un monde que je connaissais parfaitement, mais qui m'effrayait constamment.
Avec mes cheveux remontés en un chignon parsemé d'ornements argentés et mon maquillage prononcé, j'avais l'air d'une poupée en porcelaine, comme mon père avait toujours voulu que je sois. Je n'étais plus Verstappen, pilote automobile, mais bien Amaryllis, fille d'un aristocrate.
Je maudissais l'aristocratie, même si elle me frapperait d'anathème pour cette folie.
Je n'écoutais pas ses paroles, toujours les mêmes. Ce monologue qu'il me déroulait à chaque fois pour me rappeler le comportement que je devais adopter.
Aujourd'hui, je ne l'écoutais plus.
Je songeais à mon grand frère, de qui j'avais la constante impression de m'éloigner. Même si cela me crevait le cœur, je me disais que c'était pour la bonne cause et que, tôt ou tard, tout finirait par s'arranger.
Le véhicule s'arrêta devant un restaurant haut de gamme. Le luxe qui en émanait me donnait le tournis, tout était si grand et des Pays Bas, si différent. Je jetai un regard à mon géniteur et scellai ma main à la sienne, avec cette conviction que c'était la dernière fois.
Les murs allaient enfin s'écrouler.
J'entrai dans le salon privatisé du restaurant en sa compagnie. Un jeune homme était posté de dos, entouré d'un couple de quinquagénaires. Il se tenait devant une immense baie vitrée donnant une vue imprenable sur la ville de Bologne. Au bruit de la porte, les trois personnes se retournèrent, presque simultanément.
Je croisai le regard du brun, dont l'oreille gauche était ornée d'une magnifique boucle. Il avait un sourire en coin calqué sur les lèvres. Il avait ces allures de prince dont toutes les filles de mon rang rêvaient, et je ne pouvais moi-même nier qu'il était très beau et séduisant. Il portait un costume bleu roi, surmonté d'une parure en or.
Peut-être que la moiteur de mes paumes trahissaient cette vision que j'avais de lui.
— Princesa, bonjour Amaryllis.
Il s'avança et me prit doucement les mains. Au moment où je remarquai nos deux alliances, similairement enroulées autour de nos annulaires, ma gorge se serra. Je ne pouvais pas lui appartenir, de la même manière que j'avais appartenu à mon père pendant toutes ces années. Je ne pouvais pas quitter l'emprise d'un homme pour celle d'un autre.
Andrés était peut-être différent, mais il avait été élevé comme tous les autres. Il avait été élevé avec la hiérarchie, cette idée que les hommes étaient toujours au-dessus des femmes, que leur rang n'avait pas d'importance, qu'elle ne pouvait pas porter le titre de leur famille. Il pouvait être roi, prince, duc, je ne pouvais être que sa demoiselle suivante.
Passer ma vie à l'aduler, je n'étais pas née pour ça.
Je relevai les yeux.
— Bonjour Andrés, lançai-je doucement.
Je saluai également ses parents, avant de prendre place sur un fauteuil, non loin de mon père qui glissait un cigare entre ses dents. Je regardai le feu commencer à peine à consumer le bâton, me refaisant le film de ces longues traînées de cendre qu'il avait laissé sur ma peau.
Je devenais folle.
— Je suis profondément heureux d'enfin te rencontrer, annonça Andrés dans un néerlandais presque parfait, me sortant de ma psychose.
Je me contentai d'hocher la tête, incapable de lui donner une réponse réciproque. Il déposa sa main sur l'accoudoir de mon fauteuil et je me fis violence pour la caresser du bout des doigts.
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ANATHÈME ; Pierre Gasly
FanfictionDans le feu qui brûlait ses veines, elle n'avait qu'un mot : la liberté. - Amaryllis Verstappen, au nom de toutes ces femmes qui, dans le monde, ne sont pas libres de leurs choix.