Chapitre 18

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Kobou, capitale de Pa'Auro, principauté du Peuple Libre, royaume d'Hériale.

Veille de l'Équinoxe de Printemps.

Lénaïg Pal'Cavan sentait qu'elle était suivie. Elle savait également qu'il s'agissait de la jeune fille aux yeux violets qui l'avait bousculée un peu plus tôt. Jeune fille aux yeux améthyste qui n'était autre que la princesse Lihanna, elle en aurait mis sa main à couper.

Ses sources étaient donc exactes, l'une des triplés se trouvait bien dans la capitale. Ce qui voulait dire que Liam Ruadhan était là, lui aussi. Ses amis lui avaient en effet confié que les deux jeunes gens étaient quasiment toujours fourrés ensemble. Shani avait même affirmé qu'ils étaient amoureux. Tran n'avait malheureusement pas pu lui confirmer ou lui infirmer l'information fournie par sa femme. Lénaïg imaginait déjà la tête de Nell s'il s'avérait que cette indication était exacte... Son fils préféré amoureux de la fille d'Aedan ! C'en était presque comique.

Elle esquissa un sourire et jeta un coup d'œil par dessus son épaule. Avec la foule de cette veille d'Équinoxe, la princesse allait avoir du mal à la suivre. Pourtant, entre deux groupes de gens, Lénaïg aperçut le manteau gris et le pull vert que portaient la jeune fille. Cette gamine aux yeux étranges devait avoir développer une sorte de sixième sens grâce à son pouvoir de super-télépathe. Son père – qui était professeur d'histoire pour les apprentis de la Garde – avait en effet prévenu les membres de la Cause que les triplés étaient dotés de pouvoirs supérieurs aux autres. Ce qui était plutôt une bonne nouvelle si on considérait que ces trois adolescents étaient censés sauver Orcam.

En tant que spécialiste de la télépathie, Lénaïg aurait bien aimé s'attarder pour discuter avec Lihanna, voire même lui donner certains conseils puisqu'elle croyait sincèrement que les triplés étaient les sauveurs annoncés par la prophétie. Mais elle devait d'abord retrouver Liam et vérifier si les rumeurs qu'elle avait plusieurs fois entendues à travers la ville étaient vraies. Parce que si le fils de Nell était réellement responsable des dégâts occasionnés dans la forêt comme semblait le dire certains éclaireurs, alors, c'était que les verrous magiques qu'elle avait posés sur ses pouvoirs de Tes'Sara près de treize ans plus tôt étaient en train de sauter. Elle ignorait comment cela était possible, mais une chose était certaine : ce n'était pas une bonne nouvelle. Les Tes'Sara aux pouvoirs non-bridés étaient de véritables bombes à retardement.

— Madame ! Attendez !

Elle se retourna une nouvelle fois et croisa le regard gris-violet qui s'était encore rapproché.

Par les Quatre !  Elle était coriace pour une privilégiée ! Et puis, que lui voulait-elle ? Après tout, malgré ce que Shani avait avancé, la princesse ne se trouvait pas en compagnie du fils de Nell quand elle l'avait bousculée, mais avec un autre jeune homme dont elle semblait très proche. Et pas n'importe lequel, en plus ! Avec un Sorcier qui appartenait à l'une des familles Sang-Purs les plus puissantes de Paat'Mafra !

Parce que ces yeux verts caractéristiques, Lénaïg les avait reconnus. Comment aurait-elle pu les oublier ? Elle avait passé des heures à essayer de soigner la psyché brisée d'un homme rendu fou par les tortures infligées par le propriétaire de ces yeux verts. Alors, même si le regard n'était pas aussi cruel que celui de son père, « l'ami » de la princesse ne pouvait être que le fils d'Askil Laserian.

Bien sûr, vu sa présence à Kobou et l'intimité qu'il semblait entretenir avec une Sang-Mêlée, il était plus que probable qu'il ne soit pas un Sang-Pur comme son père. Il devait même être l'un des deux Sorciers hébergés par Elena et Donald Pal'Calum, dont Tran lui avait parlés. Le fait qu'il s'agisse d'un Laserian était troublant, mais si des personnes respectables et loyales à la Cause l'acceptaient sous leur toit, eh bien, c'est qu'il devait être bien différent de ses parents. Les Pal'Calum étaient des gens biens et elle leurs faisaient confiance, même s'ils étaient des modérés plus proches de son propre père – le professeur Pal'Cavan – et des mystérieux Os'Tra, plutôt que des radicaux de la communauté de Mana, ils avaient vraiment à cœur l'intérêt du Peuple Libre. Et du royaume d'Hériale dans son ensemble, finalement.

Lénaïg secoua la tête en accélérant le pas. Son père lui manquait et elle ne risquait pas de lui parler de sitôt vu comme il était remonté contre Nell. En même temps, la jeune femme le comprenait...

Mais quelle idée Nell avait-elle eu de tirer sur la reine ? Lénaïg était son amie, mais même elle avait beaucoup de mal à lui pardonner cette tentative de meurtre, surtout qu'elle mettait toute la communauté de Mana en danger. Or, les enfants mages des Quatre – et plus encore les Tes'Sara parmi eux – avaient besoin d'elle pour être protégés !

Évidemment, Nell était persuadée d'être dans son bon droit et lui avait rétorqué que c'était aussi pour eux qu'elle se battait, pour que dans un monde futur, ces enfants n'aient plus besoin d'être sauvés, ni de se cacher. Mais, pour qu'un monde comme celui-ci voit le jour, il fallait accepter l'inévitable guerre qui le précéderait. Et qui disait guerre, disait morts. Même si la plupart étaient injustes et touchaient des innocents.

À l'inverse, le père de Lénaïg n'était absolument pas d'accord avec les méthodes radicales de la cheffe de la communauté de Mana qui – pour lui – ne faisait qu'attiser la haine et favoriser l'ascension des tyrans de l'autre camp.

De son côté, Lénaïg était tiraillée entre les deux : moins utopiste que le professeur, mais contre le meurtre de sang-froid des fameux « dommages collatéraux » prôné par Nell. Surtout quand ils avaient lieu pour assouvir une vengeance personnelle, ce qui était le cas en ce qui concernait l'attaque de la liée du roi.

Heureusement, pour l'instant, peu de personnes savaient que Nell était la femme qui avait tiré sur Eana MacCormac. Ceux qui étaient dans la confidence avaient beau condamner le geste de son amie et prendre leurs distances avec la communauté de Mana, ils ne la dénonceraient pas. Mais Nell avait perdu leur confiance. Et pour l'instant, c'était Lénaïg qui était poursuivie par la fille de celle que sa meilleure amie avait voulu tuer. Et si cette même fille était vraiment en couple avec le fils de Nell... Par les Quatre !  Cette histoire allait devenir un vrai sac de nœuds.

Elle ne savait pas vraiment ce que Lihanna lui voulait pour la suivre avec autant d'insistance – elle avait essayé de lire ses pensées sans succès vu le bouclier surpuissant érigé autour de ces dernières – mais elle n'avait pas peur, car contrairement à la jeune princesse qui avait passé ces dernières années dans une cage dorée, la Métisse était une combattante expérimentée. Elle sentait toutefois qu'un immense pouvoir était caché derrière ce visage angélique et que Lihanna MacCormac-Kerid'El'Wen pouvait devenir une adversaire redoutable. Lénaïg avait simplement autre chose à faire que de découvrir à quel point les triplés pouvaient être puissants, surtout au milieu de la foire de Printemps, entourée de tous ces innocents.

Elle décida donc qu'il était temps de la semer. Elle jeta un dernier coup d'œil en arrière, puis poussa un soupir soulagé en constatant que plus personne ne la suivait. Elle avait réussi à distancer sa jeune poursuivante. Elle esquissa un sourire en se disant que la prochaine fois, elle prendrait le temps d'enseigner deux-trois trucs à cette gamine somme toute persévérante, puisqu'elle avait tout de même réussi à la suivre sur plusieurs pâtés de maison !

Lénaïg secoua la tête et se remit en marche, bien décidée à mettre rapidement la main sur le fils de Nell avant de pouvoir repartir dans les montagnes de la Manadaleòch. Mais elle fit à peine deux pas avant de se retrouver nez à nez avec la jeune princesse.

— Eh bien, commença Lihanna avec un petit sourire en coin, vous êtes vraiment difficile à rattrap...

Elle ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase. Elle préleva rapidement, dans une bourse qu'elle portait à sa ceinture, une pincée de poudre paralysante – mélange de différentes plantes réputées pour leur toxicité – et la lança au visage de la princesse. Surprise, Lihanna ne put esquiver l'attaque. Elle éternua, avant de se figer et de commencer à suffoquer.

(...)

ORCAM - Tome 3 : Printemps (version non-corrigée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant