Chapitre 18 (2/2)

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(...)

Lénaïg ne perdit alors pas de temps. Elle se saisit de la princesse et la poussa à l'écart de la foule, dans une allée sombre. D'un geste sûr, elle la plaqua contre un mur et la força à ingurgiter l'antidote qu'elle avait toujours avec elle. Quand cela fut fait, elle lui braqua un poignard sur la gorge en attendant que le remède fasse effet. Les yeux écarquillés d'effroi, la jeune princesse peinait à retrouver une respiration régulière, mais Lénaïg n'était pas inquiète, elle savait parfaitement ce qu'elle faisait. Sa mère était une Fille de la Terre – une grande professeur de botanique qui plus est – et elle lui avait enseigné tout ce qu'elle savait sur l'usage des plantes. La Métisse avait d'ailleurs décidé d'en faire sa deuxième spécialité après la télépathie. La flore recélait tant d'armes et de trésors naturels... Cela aurait été bête de s'en priver, surtout lorsqu'on faisait partie d'un groupe clandestin obligé de vivre à l'écart du monde.

Peu à peu, Lihanna commença à retrouver une respiration normale, mais ses yeux brillaient toujours de peur et d'incrédulité. Lénaïg en ressenti un petit pincement au cœur. Effrayer les gens n'était pas quelque chose qu'elle appréciait particulièrement et elle ne lui voulait aucun mal, en réalité. Elle allait d'ailleurs lui expliquer qu'elle n'avait rien à craindre d'elle et qu'elle la relâcherait dès lors qu'elle lui aurait dit pourquoi elle la suivait, mais elle n'en eut pas le temps.

Son poignard toujours appuyé sur la gorge de Lihanna, elle fut prise à son propre jeu. Quelqu'un s'était glissé dans la ruelle avec elle et la pointe d'une épée était maintenant posée dans son cou.

— Si ne serait-ce qu'une minuscule goutte de sang perle sur sa gorge, je vous coupe la tête. C'est bien compris ?

L'homme qui venait de la menacer avait une voix froide, mais chargée d'une rage à peine contenue. Au moindre faux pas de sa part, Lénaïg était certaine qu'il mettrait sa menace à exécution. Elle hocha donc la tête et éloigna précautionneusement son poignard de la princesse avant de lever les bras en signe de reddition.

Face à elle, Lihanna respirait presque normalement à présent et le soulagement – ainsi qu'une émotion plus forte encore – illuminait ses yeux violets.

— Éloignez-vous d'elle, ordonna l'homme en la menaçant toujours de son épée.

Lénaïg obtempéra. Elle fit cinq pas en arrière, l'homme s'adaptant à ses mouvements, mais ne faisant pas mine de rengainer son arme. Elle lui tournait toujours le dos et ne voyait donc pas à quoi il ressemblait.

— Ça va, Mac ? demanda-t-il sur un ton où pointait une inquiétude sincère. Tu n'es pas blessée ?

Mac ?  S'était-elle trompée sur l'identité de la jeune fille ?

Quoi qu'il en soit, cette dernière opina avant de prendre une grande inspiration. Elle avait encore le teint cireux, mais Lénaïg savait que ça n'allait pas durer. Elle aurait peut-être encore un peu le tournis et des nausées pendant quelques heures, mais elle semblait solide malgré son apparente fragilité.

— Très bien, approuva l'homme avec soulagement. Alors va-t'en tout de suite. Connor était juste derrière moi, tu tomberas vite sur...

— Non... le coupa la jeune fille.

Lénaïg sursauta et failli s'entailler elle-même le cou sur la pointe de l'épée qui n'avait pas bougée.

— ... si tu crois que je vais t'abandonner avec une empoisonneuse folle, tu te goures.

Euh...

— Bordel, Liha ! soupira son assaillant. Pourrais-tu – pour une fois – m'obéir sans discuter ? Tu trembles et on dirait que tu es aux prises avec le pire mal de mer de tout les temps ! En quoi pourrais-tu m'être utile, nom des Quatre ?! Va te mettre en sécurité !

Stupéfaite par cet étrange échange, Lénaïg n'osait pas bouger. Elle avait peur que dans un mouvement d'humeur, l'homme lui sanctionne la carotide sans faire exprès.

— Écoute-moi bien, Ruadhan, répliqua la jeune fille en croisant des bras tremblotants sur sa poitrine en une attitude de défi. Je sais que tu m'en veux, mais je reste avec toi, que tu le veuilles ou non.

Lénaïg retint à grande peine un hoquet de surprise. Se pouvait-il que l'homme derrière elle soit le fils de Nell ? En tout cas, qui qu'il fût, il soupira d'agacement.

— Très bien, céda-t-il. Reste. De toute façon, tu n'en fais toujours qu'à ta tête sans tenir compte des autres, non ?

Même si ses yeux violets flamboyaient, Lénaïg vit une peine sincère se peindre sur les traits de la jeune femme.

— Je suis désolée pour ce que j'ai dit à ces étrangers, Liam. Mais tu ne m'as pas laissé le temps de...

— Tu crois vraiment que c'est le bon moment pour parler de ça ? siffla l'homme qui se tenait toujours derrière elle.

Elle sentit la lame de l'épée commencer à mordre dans sa chair. Elle était donc parfaitement d'accord pour que ces deux-là reportent la discussion – quelle qu'elle soit – qu'ils devaient avoir et qui semblait plutôt houleuse si on s'en référait à la tension qui régnait dans la ruelle. Elle ne tenait pas particulièrement à devenir un dommage collatéral d'une dispute entre Liam Ruadhan et Lihanna MacCormac Kerid'El'Wen. Même si on pouvait souligner l'ironie du sort vis-à-vis des «dommages collatéraux », justement : être tuée par le fils de sa meilleure amie parce qu'il se querellait avec la fille de la femme que cette même meilleure amie avait voulu tuer... C'était d'un tragi-comique. Au moins, elle avait la confirmation de ce qu'avait supputé Shani en les observant : Liam et Lihanna étaient amoureux, ça ne faisait aucun doute. Nell allait être ravie !

Quoi qu'il en soit, un silence de plomb était tombé sur la ruelle après l'éclat de voix du jeune homme. Lénaïg ne voyait que le visage de la princesse, mais elle savait qu'ils étaient en train de s'affronter du regard. Elle osa un petit raclement de gorge et ils semblèrent tous deux se rappeler sa présence.

Lihanna braqua ses yeux mauves sur elle et Liam retira son épée de son cou avant de lui ordonner de se retourner sans geste brusque. Malgré leur manque de concentration – ou peut-être à cause de cela, justement – elle jugea plus prudent d'obtempérer sans tenter quoi que ce soit.

Quand Lénaïg se retrouva face à ce visage dur et à ces yeux gris acier qui brûlaient d'un feu sauvage, elle n'eut plus aucun doute. Il s'agissait bien du fils de Nell.

Et ses verrous magiques étaient en train de sauter.

ORCAM - Tome 3 : Printemps (version non-corrigée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant