Epilogue

609 65 39
                                    

Cassie me lorgne avec un air abasourdi. Elle me désigne du doigt, ses mains toujours accrochées aux anses de son cartable.

— Mais je vous jure que c'est vrai ! m'exclamé-je. Au début, ça ne se voyait pas du tout, puis ça été de plus en plus rapide !

Les autres élèves autour nous scrutent avec curiosité. Angèle me tire par la manche, et nous nous collons tous les trois contre le mur. Elle ferme les yeux, mets de l'ordre dans ses idées, et reprend :

— Tu es en train de nous dire que tu es convaincu que Jack est de retour car...

— Il mange mes glaçons !

— Il mange tes glaçons, répète-t-elle.

Ma cousine trépigne sur place et s'éclaircit la voix, comme si elle cherchait un moyen de me contredire sans ne jamais trouver d'arguments... ou ne jamais oser me les exposer. J'ai bien conscience que ça peut paraître totalement fou, mais en somme, rien ne me semblera invraisemblable depuis ce que nous avons vécu, cet été.

La sonnerie retentit une seconde fois, pourtant nous restons tous les trois immobiles. Une amie de Cassie l'appelle au loin, mais elle lui fait signe de partir sans elle.

— C'est peut-être juste parce qu'il faisait plus chaud, tente-t-elle. Tu as pris tous les paramètres en compte ? Le climat a été complètement détraqué avec la tempête, ça ne peut être que ça.

Mes mains claquent mes tempes.

— Mais il faisait même plus froid fin, août, il n'y a aucune autre explication logique, m'enquis-je. Jack est de retour. C'est certain.

— Théo...

— J'ai toujours utilisé le même sac, j'ai marché à la même vitesse, avec les mêmes glaçons, la même eau.

— Théo... Écoute-moi, je...

— Vous n'avez qu'à venir voir ! Ma persévérance a payé, j'ai cru en lui avec tellement de force qu'il est revenu parmi nous... Encore quelques mois et il sera vraiment de retour. Peut-être même qu'il sera complètement humain ! Je peux vous montrer après les cours si vous voulez. Vers quelle heure finit ta réunion de pré-rentrée ?

— Théodore !

Je me stoppe net. Cassie a posé ses mains sur mes épaules pour calmer mon effervescence.

— Vous ne me croyez pas ?

— Il est parti... chuchote ma cousine, désolée.

Je jette un regard à Angèle, qui m'adresse une moue chagrinée. S'il y a quelques semaines, je ruminais sur mon propre sort, aujourd'hui je suis convaincu que je suis à deux doigts de le faire revenir. Et les voir vouloir me briser les ailes avec si peu de délicatesses, ça me donne mal au cœur.

Je réprime un sanglot et déguerpis dans le couloir, à la recherche de ma salle de cours. Si Cassie décide de tourner les talons vers sa propre rentrée, j'entends les breloques qui pendouillent au sac-à-dos d'Angèle, qui revient sans doute vers moi en courant.

Pas manqué, elle freine sa course et recommence à marcher à mon niveau, silencieuse. L'été qui nous avait d'abord éloigné a fini par nous rapprocher. Même si son statue de meilleure amie a encore grimpé en échelon compte tenu de toute l'aide qu'elle m'a apporté et des épopées que nous avons traversé ensemble... C'est très difficile pour moi de revenir à la réalité. Et elles ne le comprennent pas, sûrement car elles n'ont pas vu tout ce que moi j'ai vu.

— Je suis désolée, Théo, je ne...

Je pousse un cri.

Tout le monde nous regarde, désormais.

— Je ne veux plus vous entendre parler de Jack, lui lancé-je à voix plus basse. S'il te plaît, fais-le pour moi.

Elle acquiesce, puis poursuit :

— Je ne veux vraiment pas te faire de mal, Théo, tu es mon meilleur ami. Et je t'assure que ça ne me fait pas de bien non plus de te couper dans ton élan, mais... il est parti avec l'hiver. Jack ne reviendra plus jamais. Tout comme ton pouvoir sans doute.

— Tu crois ? lui murmuré-je, laissant une ouverture dans ma carapace en béton armé.

— Oui...

Nous arrivons dans la salle et l'enseignante nous plonge dans le bain tout de suite : plan de classe ! Cette année promet d'être exceptionnelle avec le bac qui approche – encore, le mot est faible. Angèle me caresse l'épaule et je maugrée quand je dois m'en séparer pour gagner ma place. Après la discussion que nous venons d'avoir, je n'ai aucune envie de suivre quoi que ce soit. Certes, je sais en parler avec moins de larmes dans la voix, mais le sujet « Jack » reste toujours très délicat.

Je sors mes affaires en silence, repensant à ce que ma meilleure amie vient de me lancer. « Il est parti avec l'hiver ». Ce qui est autant valable avec mon pouvoir, en effet, mais c'est très différent. Ça n'a pas été soudain, plutôt progressif. À mesure des journées, mon don s'est atténué et a fini par disparaître totalement à la fin du mois d'août. Je ne peux pas dire que j'en sois triste, tant il a malmené ma vie durant des années, mais c'est une sensation étrange. C'est comme si l'hiver était partout sans vraiment être là, comme si j'étais anesthésié des émotions des autres. J'ai tellement maudit mon empathie, désiré que ça en finisse, que je me réveille un matin sans ne plus avoir à m'en préoccuper, que ça me fait un vide dans la tête.

Un mouvement à côté me tire de mes pensées. Je replonge dans mon sac pour sortir toutes mes affaires, quand la pâleur des mains de mon voisin m'interpelle. Je n'ose le toiser, mais Angèle qui est au premier rang, semble avoir bugué : au moins, elle le voit, ce n'est pas un fantôme. Elle le désigne sans gêne et s'attire déjà les foudres de la prof. Ses énormes yeux me font sourire, et très vite, le doute s'intensifie.

Et si... et si l'hiver était réellement revenu sans que je m'en rende compte. Et si mes complaintes avaient été entendu et qu'il était de retour parmi nous ? Je n'ai pas arrêté de croire en Jack, ce sont juste les couleurs que j'ai fini par oublier.

Je déglutis et relève lentement le regard vers lui.

Il porte un sweat bleu nuit.

La pâleur de sa peau n'a rien à envier à ses mains.

Ses cheveux sont clairs. Blancs, même.

Seuls ses yeux détonnent avec ce que je connaissais de lui. Bleu comme le ciel, sans tempête. Peut-être parce que désormais le blizzard qui me protège des couleurs est invisible.

— Jack ? soufflé-je.

Il esquisse un sourire adorable.

— Oui ?

— C-comment est-ce possible ?

Il hausse les épaules et sors une feuille sur sa table. Il a l'air plus équipé, mais pas plus dégourdi, sa feuille est tournée dans le mauvais sens, et il tient son stylo à l'envers. Je pouffe en remettant tout à l'endroit, et lui se met à rire à son tour.

Il me toise avec pudeur, me prend la main et me remercie finalement :

— Merci pour les glaçons... Dore. Et merci de n'avoir jamais cessé de croire en moi.

~~~

This is the end 😭

Merci d'avoir suivi cette histoire, de m'avoir soutenu tout ce temps ! Je ferais sans doute une petite note d'auteur plus tard pour vous tenir informer de ce que ce roman deviendra... Mais pour l'heure, je vais aussi faire une petite pause haha Jack m'a laissé un très gros vide dans le cœur 💙

Un dernier petit commentaire pour conclure ensemble cette aventure ?

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant