Chapitre 14 : Bonnet bleu (2/2)

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Jack reste en arrière lorsque je m'approche de la boîte aux lettres pour enfin y déposer ma lettre. Le retour de la bibliothèque s'est fait dans le silence, mais à son tendre visage compatissant, je comprends qu'il sait très bien ce que je viens de rédiger.

Le bout de papier glisse d'entre mes doigts et je sens que cette fois, il n'y a pas de porte dérobée possible. Mon cœur manque un battement quand je repense à ce post-scriptum. Mon corps est pris d'un soubresaut tant l'émotion me parcourt les veines. Le froid hivernal m'en arrache un second. Je ne sais pas à quoi je m'attendais en vérifiant à plusieurs reprises les volets fermés de ma meilleure amie. Au fond, peut-être espérais-je voir son visage apparaître entre les deux battants en bois ?

Il vaut sûrement mieux qu'elle ne me surprenne pas.

Je dirais quoi ?

La même chose qu'hier, sans doute.

Les quinze minutes de marche jusqu'à l'appartement me semblent interminable. Ce qui est le plus étrange, quand on marche avec un Jack à ses côtés, c'est qu'il y a que le bruit de mes pas, mon souffle court et le sifflement de mes poumons qui fendent le silence alentours. Malgré l'absence de bruit, la vapeur blanche s'échappe bel et bien de sa bouche. Il respire. Il ne réagit pas aux contraintes de son propre corps et déambule comme un pantin à qui on a juste insufflé la vie.

Je ne pourrais pas dire à quel moment il a pris cette importance dans mon existence, mais aujourd'hui, je ne saurais plus m'en passer. Ses pas marchent au rythme des miens, et les flocons dans ses yeux suivent les bonds de mon cœur. Je suis comme un autiste bloqué dans ma propre bulle et qui me complait à discuter avec son plus fidèle ami imaginaire.

— Tu n'es pas juste dans ma tête, Jack ?

— Dans ma tête ? répond-il.

Je lui prends la main et la pose sur mon front.

— Ici.

Il observe autour de lui et me laisse me perdre dans son regard si attendrissant. Ses yeux cherchent une quelconque réponse, mais le constat reste le même : il n'en a pas plus que moi. Jack ne sait pas qui il est. Il est né dans le blizzard et ne vit que pour défaire tout l'ordre que j'ai tenté, en vain, d'établir dans ma vie de désordre. Aujourd'hui encore, je suis incapable d'affirmer qu'il est venu pour tout détruire sur son passage, ou me sauver de la malédiction qui me fusille la tête.

— Où étais-tu avant que je te rencontre ? tenté-je

Ses sourcils se froncent, son nez se plissent et il se mord la lèvre. Celle-ci semble si fine et si fragile que le moindre pincement suffirait à la fêler, mais aucune goutte de rouge ne vient souiller le blanc de sa peau.

Le blanc. Une nouvelle fois, je ne sais pas s'il s'agit d'une pensée ou d'une réflexion inconsciente.

Mais le blanc. Est-ce parce qu'il est plus immaculé que la neige elle-même que je suis incapable de décoder la moindre émotion qui émerge de sa petite tête d'ange sorti de la tempête de neige en juin. Jack est-il cette banquise si longtemps désirée ?

— Non, laisse... abdiqué-je en le voyant se perdre dans ses esprits sans savoir où chercher.

Il tord sa bouche et m'adresse une moue désolée qui fait fondre mon petit cœur de pierre. Je m'affranchis du froid et fait dépasser ma main gelée de ma manche pour réajuster son bonnet sur son oreille découverte. C'est la première fois que je le vois avec ça sur la tête et je dois bien avouer que ça lui va bien. Tout lui va bien. Même un t-shirt en été, ou en maillot de bain si la neige venait à... L'idée même de le voir un peu plus déshabillé me brûle les joues. Et celle de le voir fondre avec le reste terrasse dans l'immédiat cet embarras futile.

Jack et moi n'avons pas d'avenir. Aussi difficile est-ce à avouer, je ne peux pas me faire des plans sur la comète avec lui. Il faudrait une bénédiction pour que nous puissions poursuivre notre vie ensemble. Personne ne le voit. Il est aussi éphémère qu'un bonhomme de neige. Mais comment sera ma vie après la fin de l'hiver ? J'ai tant besoin de cet... ami ?

Alors au diable ce bonnet bleu qui lui donne ce minois à croquer ! Cette dernière pensée m'a foutu le cafard et mes pas dans la poudre blanche devienne difficile. Je ne veux plus rentrer chez moi. Je veux rester sous ce ciel blafard, dans le feu des réverbères, cryogénisé sur place par les négatives.

— Dore ?

Une larme perle.

— Jack veut aussi rester avec Dore.

— Tu lis dans les pensées ?

— Jack a senti la peine de Dore, avoue-t-il, peiné, en relevant sa main autour de laquelle s'est resserrée si fort la mienne que mes doigts y ont tracé des courbes rouges.

Ces confessions dans la neige vont devenir un rituel quotidien. Ce n'est pas pour me déplaire. Je le prends dans mes bras, timide, et lorsque je m'en sépare, m'approche pour lui déposer un baiser sur le front. L'attraction qui m'attire vers sa peau est magnétique, pourtant je m'écarte avant de le toucher. Je n'ai pas le droit. Mon estomac se tord et je passe ma paume sur mes cernes pour reprendre contenance.

— Eh ! réalisé-je alors. C'est mon bonnet !

Il coince sa bouche en cul de poule.

— Dore n'a pas interdit à Jack de le prendre, rétorque-t-il du tac au tac en mimant de taper sur la pancarte « interdit » sur la porte de ma chambre.

— Mais je ne te l'ai pas autorisé, non plus. Les gens ne font pas des tas de choses qu'ils n'ont pas le droit de faire sans qu'on les ait prévenu !

Jack ne comprend rien, mais peu importe. Il arbore son air innocent qui lui sied si bien que je suis incapable de l'arracher de sa tête. À la place, j'enfonce une de ses mèches argentées qui dépasse, sous le bonnet, et le tire un peu plus sur ses lobes.

— Je te le donne.

Il pose une main sur sa poitrine.

— Moi ?

— Oui. Il est à toi, réitéré-je en additionnant ma main sur la sienne. C'est cadeau.

— Cadeau...

Un sourire immense maquille ses lèvres. Ses doigts grimpent à ses joues, puis à ses tempes et enfin à son crâne, et caressent son vêtement planqué sous sa capuche épaisse. Comme ça, nous sommes enfin assortis. Lui avec son bonnet bleu, et moi avec mon bonnet rouge.

Je me fous d'où provient cet étrange garçon. Mais si je pouvais adresser un mot à celui qui l'a posé sur ma route, je lui dirais simplement :

« Merci. »

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Depuis quelques jours, vous êtes nombreux à rejoindre l'aventure ! Merci tellement 

Je pense que @quark30 n'y est pas pour rien (il a écrit un super avis sur ce roman, dans son recueil de lectures). 

Ce chapitre n'apporte pas beaucoup de réponses, mais je le trouvais vraiment doux à écrire, alors je n'ai pas cherché à le modifier... car après tout, on a bien besoin de cette douceur avec ce qui pourrait bientôt vous tomber dessus haha 👿

Pour tout vous dire, je viens d'avoir un poste d'enseignant dans un lycée, et avec la reprise d'un rythme, le travail chez moi, et la fatigue... Peut-être qu'une petite pause va s'imposer. Mais quoi qu'il en soit, je vous préviendrais avant, et elle ne durera pas plus de 2-3 semaines !

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant