Chapitre 19 : Les silences d'hiver (1/1)

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Il ne fait pas encore nuit lorsque je traverse la ville à pied jusqu'à un endroit sûr où dormir. Mon visage est sec, giflé par le vent, et mon cœur sous vide.

J'ai passé l'après-midi dans un sas de banque pour ne pas mourir de froid. Si les quelques courageux qui ont bravé l'hiver pour tirer du liquide m'ont sans doute pris pour un sans-abri quand ils m'ont vu recroquevillé sur la moquette, et regardaient de travers, le directeur ne m'a pas demandé de dégager.

— Tu peux rester ici, p'tit, m'a-t-il proposé.

J'ai secoué de la tête et renfilé ma capuche.

— C'est pas grand-chose, a-t-il murmuré, embarrassé, en me tendant un billet de cinq.

— Je vous remercie, mais...

— Il fait froid. Tu devrais rentrer chez toi.

— Je ne peux... pas... ai-je chuchoté.

— J'imagine. J'imagine.

Le banquier s'est avancé et j'ai eu un mouvement de recul assez brusque. Je suis traumatisé. Il a fait preuve de patience et m'a glissé l'argent dans la poche lorsque mes mains ont arrêté de trembler, avant que je ne décampe.

En vérité, j'aurais pu y passer la nuit, mais le calme de la ville endormie m'a tétanisé quand les lumières se sont finalement éteintes et qu'il est rentré. Alors je suis parti aussi, et maintenant je dois marcher à grandes foulées dans la neige, à l'affut du moindre recoin tranquille, avant que la nuit soit complètement tombée. J'ignore si c'est l'effet de l'obscurité qui me fait perdre le nord ou si les températures dégringolent vraiment depuis quelques minutes.

Mes mains sont enfoncées dans les poches de mon sweat et triture la lettre qui y est froissée, mon visage est toujours planqué à l'intérieur de mon col, et je serre la mâchoire pour ne pas laisser aller ma détresse.

Je n'ai pas besoin de pleurer.

Je me sens assez mal comme ça.

Mes pas m'ont d'abord conduit vers un parc qui ne m'a pas convaincu. Pouvoir m'arrêter et reprendre mon souffle brûlant me soulage un peu. J'étire mes muscles engourdis et agite mes doigts pour refaire circuler le sang jusqu'à leurs extrémité, et vérifie les alentours. Un silence de mort. Les flocons tombent en douceur et atteignent le sol en silence. La balançoire se balance très légèrement au gré du vent. L'idée me semblait « prometteuse », mais quitter les rues éclairées pour le chuintement morbide des feuilles d'arbre m'ont convaincu de rebrousser chemin.

Je reprends la marche, traversant les halos jaunes des réverbères, me souvenant de ma première sortie avec Jack, et la nuit a fini par me rattraper.

Si le voyage me semble interminable, un contraste au loin – juste sous un rond de lumière – me creuse un peu plus la poitrine, et en même temps, refais jaillir un certain espoir. Je ne ralentis et stoppe ma course juste devant.

Est-ce une bonne idée ?

À mes pieds, la neige fond d'un seul coup.

Des stalactites tombent d'un seul côté du panneau.

Mon corps effleure la frontière invisible de ce dôme de glace entre l'extérieur et la ville elle-même. Des barrières et des panneaux ont été mise en place, et des mégots jonchent le sol, comme si des personnes étaient restées là pour surveiller les limites de Saint-Olympe. Je songe à Jack, à mes parents que j'abandonne dans cet état, à ceux qui ont gelé sur la place, et je suis pris de remords. Mais ça ne représente plus rien face à cette menace hivernale.

Je dois survivre à cette nuit, et nous verrons demain.

Je franchis la frontière.

Le craquement de la neige laisse place au craquement infime du goudron sous mes talons. La sensation sous mes pieds nus est aussi différentes, plus irritantes, plus piquantes, mais la chaleur de la route suffit à anesthésier la douleur. L'air est aussi différent. Plus chaud, moins dense, plus lent. La chaleur qui se propage dans ma gorge puis les poumons me semble si étrangère que j'ai l'impression d'étouffer, avant de m'y habituer. Je suis tellement à fleur de peau que je serais capable de pleurer pour moins que ça.

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant