Chapitre 4 : Dôme de glace (1/1)

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J'opine débilement pour éluder les questions habituelles du psy ; « Comment tu vas depuis notre dernière visite ? » ; « Que comptes-tu faire pendant des vacances ? » ; « Pas trop froid ? ». 

Ses lunettes ovales cerclées de fer, mal vissées au-dessus de son nez, glissent dangereusement et attirent toute mon attention. Ses cernes tombent sur ses joues, à tel point qu'une nuit de quinze heures ne suffirait pas à les faire entièrement disparaître.

Derrière ses allures professionnelles, la fatigue dégouline de son front. J'en ai la nausée.

De plus en plus, je prends la mauvaise manie de détailler le moindre sentiment qui caractérise ceux qui m'ennuient. Et là, le temps s'écoule beaucoup trop lentement.

— Tu as ramené ton carnet avec toi ?

Je relève le regard pour lui signifier la réponse. Sur le moment, j'espère qu'il ne me demande pas de le sortir, mais sa mine satisfaite et ses yeux se détournant vers ma veste, sur la chaise derrière moi, m'ordonne le contraire. J'obéis gentiment et le sort d'une poche intérieure.

Il se balade d'une main à l'autre, et je le réexamine sur toutes ses coutures. L'élastique tenant la couverture cartonnée, détendu, la première page cornée que j'ai colorié au crayon noir, les derniers résidus là où était collée l'étiquette du prix : tout, je connais tout. Et ce petit livre, au départ insignifiant, a fini par devenir mon précieux jardin secret. C'est à contre cœur que je le dépose sur son bureau.

Monsieur Espiard lève son menton pour que ses iris s'alignent à ses verres. Ils deviennent tellement énormes derrière. Je réprime un rire. Il doit être sacrément miro – pire qu'une taupe ! Avec un peu moins de pudeur, je ne me retiendrai pas pour me marrer sous son nez.

— Qu'as-tu dessiné depuis notre dernière visite ? Raconte-moi un peu, m'incite-t-il à parler, ses mains alors liées devant lui, appuyées près de son tapis de souris.

Je me sens dévisagé par ce visage beaucoup trop proche, qui ne respecte pas ma bulle d'intimité. Je me renfrogne et m'enfonce un peu plus au fond de ma chaise. Mes pieds se balancent au rythme de mon cœur qui accélère. Alors, je désigne le carnet d'un mouvement de tête. Il ne bronche pas. Je dis :

— Tout est retranscrit dedans, je crois.

— Je peux regarder ?

Comme si j'avais le choix. Si je refuse, il se passe quoi ? Il m'invite à retourner chez moi, et je peux retourner me terrer sous ma couette ?

J'acquiesce.

— Merci, Théodore.

Théo. Je me contiens pour ne pas le corriger. À vrai dire, plus personne n'emploie mon prénom. Il est beaucoup trop long et le « dore » qui le termine me fait beaucoup trop passer pour un aristocrate ou un genre de pianiste célèbre, il y a cinq siècle de cela. Désormais, seule ma mère continue d'appuyer sur chacune des syllabes quand elle est énervée, sinon, c'est Théo.

Le psychiatre attend que je détourne mon attention pour m'emprunter discrètement le carnet, l'air coupable, comme s'il venait de commettre un crime. C'est un peu ce qu'il fait ; violer mon intimité en toute impunité. C'est terrible de faire ce métier, et encore plus pour ses patients. Passer ses journées à fouiller, retourner, creuser au plus profond des esprits humains, pour en récupérer le pire. Il y a le secret professionnel, certes. Mais moi, si j'étais lui, que je découvrais le cerveau étriqué d'un gamin comme moi, je n'attendrais pas l'aval de la mère et appellerai immédiatement le service psychiatrique le plus proche.

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant