Mes doigts atteignent à peine la poignée, que la porte s'ouvre devant moi. Cassie est de l'autre côté, rouge de colère autant que verte de peur. Elle choppe un bout de mon manteau et me tire vers l'intérieur.
— Tu es complètement inconscient !
Je me déporte sur la droite pour laisser passer Jack, qui n'a pas l'air peiné, plutôt au cent coups, avant de retorquer sans aucun filtre :
— Tu n'avais pas le droit de m'enfermer !
— C'était justement pour éviter que tu fasses ça !
— Ben tu vois bien à quel point c'était utile, râlé-je, en serrant mes poings dans mes poches. Je suis sûr que tu me croyais pas quand je te disais que ce n'était pas ça qui m'en empêcherait. Ça t'apprendra, tiens !
— Ça m'apprendra quoi ?
Je ne sais pas quoi répondre. Elle roule des yeux.
— T'es qu'un gamin.
— On n'a qu'un an de différence, merci de ne pas jouer les adultes avec moi.
Elle se mord la lèvre, si fort que je perçois sa mâchoire se contracter d'un seul coup. Elle réprime un cri. Puis en pousse finalement un petit. Nous sommes que tous les deux dans le hall, pourtant je ne peux pas m'empêcher de penser qu'on n'est pas seuls. Ce brouillard céruléen ne peut pas provenir que de...
Sans échanger un regard avec ma cousine, je recule pour m'enfoncer dans les manteaux de la penderie. J'aurais aimé avoir le temps de tirer sur la porter pour m'enfermer au milieu des vêtements, mais c'est trop tard. Les talons de Yéléna claquent sur le sol et rapidement, deux jambes se figent sur le paillasson de l'entrée, juste à côté de celles de Cassie. Un frisson glacial remonte le long de mon échine. Difficile de contrôler ce tremblement nerveux, alors je me contente d'agripper mon bras pour le plaquer contre mon torse. Je canalise ma respiration.
— La porte ! la dispute-t-elle. Tu ne crois pas qu'il fasse assez froid dehors.
Un rictus traverse mes fines lèvres. Ma mère aurait très bien pu dire cette phrase ; l'a-t-elle déjà dit ?
— Tu parles toute seule, toi ?
Celle-ci aussi. Elle l'a bien dit.
— Pardon maman, se justifie Cassie. J'ai cru entendre le facteur, et comme j'attends un colis, je... je suis venue.
— Tu as encore commandé quelque chose ?
— Une babiole, sans doute.
— Une babiole ? Tu sais que tu attends quelque chose, mais tu ne sais pas quoi ?
À défaut d'être une kidnappeuse hors pair, ma cousine est une piètre menteuse. Sur ce point précis, elle a encore beaucoup à apprendre de moins, car j'ai beau être son cadet de... Depuis quand est-ce devenu une fierté d'être un charlatan ? Il faut que je revoie ma définition de ce qui est une qualité et de ce qui ne l'est pas.
— Tu as pris ton petit-déjeuner ?
Je déglutis. Je sais le rapport qu'entretient ma cousine avec la nourriture, et cette question me fait autant de mal qu'à elle. D'énormes halos verdâtres aux rebords jaunis se propagent jusque dans la penderie, tâchent les manteaux, me prennent au nez. Moi aussi, je serais capable de vomir.
— Non, je n'ai pas faim...
— Tu devrais essayer. Juste un peu.
Ma tante pose une main sur son épaule. Je la discerne à peine, mais je ne connais que trop bien ce geste. Celui qui veut dire « Allez, soit un peu normal, comme nous, pour me faire plaisir. » Je ne le connais que trop bien. Mes parents aussi pensaient qu'il suffisait de quelques efforts pour agir comme eux le voudraient. Peu de gens se rendent réellement compte des efforts que nous déployons au quotidien, nous, angoissés, anxieux, hypersensibles, neuro-atypiques. Et j'ai trop longtemps cru que je n'en faisais pas assez.
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Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]
ParanormalThéodore a un don : qu'il soit dans la foule, en classe, ou dans son salon, il ressent, malgré lui, les émotions des personnes qui l'entourent. Son cerveau est une usine lancée à plein régime qui ne connait pas le repos, et dans lequel s'accumule to...