Chapitre 25 : Escapade nocturne (3/3)

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— Très bien, je...

Les larmes cessent de tourbillonner, elles grimpent jusqu'à mes yeux. Je plisse le nez, mais trop tard, une petite orpheline se coince dans mes cils.

— ... je pars.

Je fais volte-face, démuni. Cette fois-ci, je ne ferais pas demi-tour, c'est trop pour moi.

Je reprends mon calme, canalise les torrents d'émotion qui me bouleversent et que je refoule au plus profond de ma poitrine. Ce n'est pas de tout repos pour un adolescent de mon âge, d'accepter que mon cœur ne m'appartienne plus qu'à moi. Je l'ai partagé avec un autre. Et cet autre ignore. Par ce fait, ça me donne l'impression d'abandonner une partie de moi dans ce jardin que je ne connais pas, avec un inconnu que je connais encore moins.

Mon front est brûlant.

Je suis triste, trahi, jaloux, en colère, hargneux, mauvais, mauvais, mauvais, mauvais.

Les rues défilent à une allure soutenue sous mes pas. Si vite que le monde entier semble basculer vers l'avant, que le vent paraît me pousser le plus loin possible.

Ma tignasse blonde est trempée, mon visage tout autant, mes cuisses me tirent d'une douleur lancinante, mes pieds sont glacés, rien ne va, pourtant je continue de marcher. À l'instant où je stoppe ma course, je serais capable de rebrousser chemin et ça, c'est hors de question. J'ai une fierté, un honneur à tenir, je ne peux pas dévoiler mes fragilité, ma plus grande faiblesse – Jack – avec si peu de pudeur.

L'obscurité lèche mes viscères, son épaisse langue déteint sur mes neurones, un halo noir recouvre mes yeux, le noir revient à l'attaque toujours quand il ne le faut pas. Mes émotions prennent le pas sur la raison, et l'ombre supplante toujours mon for intérieur.

Je dois me ressaisir.

Arrête-toi.

Je secoue la tête. Elle ne doit pas revenir.

Ça ne sert à rien de me fuir.

Si, ça sert à éviter le pire, ça sert à ne plus faire souffrir mes proches. Elle ne doit même plus exister.

Je fais partie de toi. Arrête-toi.

Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, pourtant je...

Fais-moi confiance.

Ma colère est si implantée là, dans mon cortex, que le bien se mue en mal et que le mal se dilue dans le bien. Le monde paraît soudainement gris. À y regarder de plus près, la neige n'a jamais été blanche. Le véritable blanc n'existe pas, au même titre que le véritable noir.

Arrête-toi.

L'ombre n'est pas que mon ennemi.

Maintenant.

Je m'arrête.

La créature sombre est toujours présente, mais a l'air comme moins dangereuse désormais. Elle guette mes moindres réactions, pourtant elle a cessé de progresser dans mon crâne. Elle stagne. Comme une vieille eau croupie dans un seau. C'est à se demander si je peux la contrôler juste en acceptant de l'écouter. Comme si j'avais su l'apprivoiser, comme si...

Nous ne sommes qu'un.

Je peux me débrouiller seul, sans l'aide de personne.

Nous. Ne. Sommes. Qu'un.

J'ai su la contenir sans aucun dégât, sans sprinter à en perdre haleine, sans crier à m'en briser la voix, sans glacer les gens qui me barrent la route... L'hiver n'a jamais été la solution à ce problème, il a anesthésié mon problème, m'a rendu vulnérable, m'a drogué. Il n'a fait que jeter un drap sur une créature incapable de maitriser son dent, pour l'aveugler, comme on aveugle un alligator pour qu'il ne puisse plus faire de mal autour de lui.

Très bien, Théo. Tu comprends.

Un rictus traverse mes fines lèvres.

L'avenue recouverte de neige ne m'a jamais paru plus paisible que ce matin. J'ouvre désormais les yeux sur un nouveau monde. Un monde sans...

— Dore... m'appelle une voix.

Elle est juste derrière moi. En temps normal, j'aurais mis de l'eau dans mon vin et me serait retourné tout de suite pour le prendre dans mes bras. Or Jack est devenu ma faiblesse. Il faut que je l'ignore.

Je reprends le chemin du retour avec qu'une idée en tête : rentrer chez Cassie et faire comme si le blizzard ne s'était jamais abattu sur Saint-Olympe, ainsi que tous les événements qui s'en sont écoulés. Dont lui. Ça me fait mal, mais c'est un mal nécessaire.

En à peine dix minutes, je retrouve le pavillon où vit ma cousine. La haie mal taillée dans laquelle je me suis royalement vautrer en tombant du toit – et le morceau de corde de drap qui continu d'y pendouiller, d'ailleurs –, le portail en bois poncé pourri, la pelouse invisible sous cette pellicule blanche, le givre qui gouttelette sur le pare-brise de la Dacia de Fabrice... et là, au sous-sol, cette loupiote jaunâtre.

De ma position, je ne discerne pas bien ce qu'il s'y passe, mais je crois reconnaitre l'ombre de Yéléna, assise sur le tabouret favori de son mari. Mon oncle n'est pas un ingénieur hors pair, néanmoins, il adorait concevoir des petites constructions avec des objets de recyclages près à partir à la poubelle. Il adore toujours. J'espère que Yéléna ne le pleure pas. C'est douloureux de ne pas savoir lui dire que tout va bien, et que bientôt il reviendra.

Et qu'il ne ressemblera pas un zombi.

Que ce sera vraiment lui. En chair et en os.

— Dore ? réapparaît cette voix trop familière. Jack doit te dire que...

J'entre dans la maison.

Jack. N'existe. Plus.

Je me mords la lèvres, quasiment à sang.

La certitude que j'ai raison a supplanté la colère.

La morsure me fait un mal de chien, mais elle permet de penser à autre chose qu'à ce fantôme qui ne se lasse pas de me suivre. C'est trop tard, il fallait réagir avant, maintenant je me débrouille tout seul, comme un grand.

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Il s'est passé une chose durant ce chapitre qui a un peu bouleversé la suite des événements... Et OokamiKuro, tu seras contente, qui est à l'origine de nouveaux chapitres que je n'avais pas prévu.

Dans tous les cas, j'ai hâte que vous découvriez la suite de cette histoire...

Pensez-vous que Théodore va vite pardonner à Jack ?

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant