Chapitre 3 : Esprit brumeux (2/2)

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- Théodore !? hurle ma mère.

Je sors tout juste de ma torpeur, que ma porte claque contre le mur dans un fracas sourd. Son visage passe par l'embrasure de ma porte, et me dessine un sourire sur les lèvres. Son air affolé me fait tout sauf paniquer. Je devine rapidement ce qui vient de se passer - ou plutôt ce qui ne vient pas de se passer -, expliquant sa mine alarmée.

Mon portable est tombé entre mes cuisses. Je le ramasse, le déverrouille : 15h37.

Le rendez-vous est dépassé depuis plus d'un quart d'heure. Et même dans l'hypothèse où je partais maintenant, je n'y serais pas rendu avant le goûter. Beaucoup trop tard ! Je m'excuserai la prochaine fois, nous n'étions pas sans nous revoir, monsieur Espiard et moi.

Loin de m'en inquiéter, je refais tomber ma tête sur l'oreiller, et me réenroule sous ma couette, mes jambes repliées sur elles-mêmes. Mon corps est brûlant et après avoir affronté le blizzard extérieur : c'est juste grisant. Je sers ma peluche pingouin contre ma poitrine et nous décidons de nous rendormir ensemble.

- Tu m'agaces ! se plaint-elle.

Elle sort en trombe. Les minutes semblent alors ralentir de nouveau... Je m'apprête à relancer un épisode, quand elle revient sans prévenir, l'air un peu plus rassuré. Elle déclare :

- J'ai réussi à ravoir un rendez-vous, il a trouvé un créneau pour nous caler entre deux patients ! Ton psy n'avait pas l'air plus contrarié que ça.

- Super, dis-je à demi-mot.

J'enfouis ma tête sous la couette. Avec la porte ouverte, l'obscurité est compromise, et j'ai horreur d'être réveillé aussi brutalement.

- Prépare toi. C'est dans une heure.

- Dans une heure ? répété-je avec nonchalance, tel un bon petit perroquet.

Je marmonne dans ma moustache, mais ma mère a déjà été patiente la première fois. Oublier mon rendez-vous chez le psy, une fois, c'est une erreur, mais réitérer l'incident exactement dans la même journée, ce n'est plus une coïncidence ; c'est un affront délibéré... Néanmoins, quelle était la probabilité qu'il me trouve une place maintenant ?

Ma mère retourne d'une allure rapide vers le salon pour enfiler son manteau. Les allers-retours entre ma chambre et le couloir se multiplient depuis ce matin. Pire que dans un moulin ! J'envoie presque valser mon PC portable sur le bureau et ferme l'écran sans prendre la peine de l'éteindre. Mes baskets dorment dans un coin, elles ramassent la poussière près de ma commode. Je suis encore à moitié endormi et j'ai envie de tous les planter.

C'est soulé au possible que je me penche sur mes pieds pour lasser mes chaussures.

Elle revient en trombe dans ma piaule - ai-je réellement besoin de préciser qui ? c'est la même depuis tout à l'heure.

- Je te préviens, tu ne sors pas habillé comme un plouc ! me sermonne-t-elle, ses yeux désignant très clairement mon jogging gris.

- Maman...

- Allez ! On y va !

En prenant sur moi pour ne pas contester, je fais machine arrière ; défais mes lacets ; enlève mon bas ; plonge mon nez dedans et le respire à grandes bouffées, comme pour me donner de la force, en profitant une dernière fois de sa chaleur ; je mets un jean ; puis de nouveau mes chaussures.

C'est un délire ! J'ai l'impression d'être tombé dans le film Un jour sans fin à l'exception que ce sont ces dernières quinze minutes qui n'en finissent pas ! Je pioche un pull-over vert avec un bon rembourrage à l'intérieur, me rappelant alors quel temps il fait. Et dire que je me crêpe le chignon avec ma mère, tandis que l'apocalypse œuvre déjà dehors. Si tout venait à disparaître, je pourrais me mordre les doigts d'avoir gâcher ces derniers instants dans un rouge pétant colérique.

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant