Chapitre 18 : Statues de glace (2/2)

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Je ne prends pas le temps de le remercier ou de vérifier qu'il n'ait rien, et me dépêche aussitôt vers mes parents, quasiment côte à côte.

Ils sont blancs, si ce n'est bleus. Leurs yeux sont fixes, autant que leur respiration, mais ils restent belle et bien debout. Mon cœur menace de sortir de ma poitrine tellement les à-coups sont fracassants. Avec prudence, j'approche mes mains des épaules de ma mère. Avant même de les atteindre, je sens le froid puissant qui en émane. Je me tourne vite vers mon père, mais comme je m'en doutais, je ressens la même chose.

Mes paumes percutent son bras rigide. Puis son visage. Puis ses cheveux raides comme des aiguilles. Son torse, ses mains et son dos. À ma mère, ensuite.

Ils sont presque aussi durs que du métal.

Ils se sont transformés en statues de glace.

J'ai un hoquet et apporte ma main à ma bouche. C'est moi ou cette ombre qui a fait ça ?

Je n'ai pas le temps de réaliser, qu'un bruit d'appel sourd sonne dans mon dos.

Je ne comprends pas tout ce qu'il se passe, laisse glisser ma main sur mon front – lui, à l'inverse, très brûlant – et me retourne.

Martine me fait face. Ses yeux sont embués de larmes. Sa mâchoire bloquée. Sa bouche tombe vers le bas. Le silence a dû l'alerter, puisqu'elle est plantée au pied de ma chambre. Et elle a un téléphone à la main. Si j'avais eu le choix entre mes parents ou elle, j'aurais préféré que... Non, je refuse d'avoir ce genre de pensée sordide, surtout avec cette ombre qui guette et qui est capable de tout, même de... glacer mes... parents.

— Allô ? se dépêche-t-elle de dire dans son portable, à son oreille. Je crois que vous devriez vite venir au 37 rue Gustave Parc...

Je jette un coup d'œil vers Jack qui est désormais à genoux devant le lit. Il se relève doucement et époussette les flocons sur ses genoux, avec ses mains.

— ... Deux personnes sont peut-être mortes.

Un frisson me parcourt l'échine.

Jack s'est finalement écroulé sur le parquet et à les yeux mi-clos. Je vais pour le relever, mais il me souffle :

— Dore doit partir.

La situation ne permet pas trop de réfléchir, alors je me tourne un peu vers la porte.

— Dore ne doit pas avoir peur, chuchote-t-il avant de fermer totalement les yeux.

Plus facile à dire qu'à faire.

J'adresse un regard à mes parents immobiles, prends une large inspiration, et décampe de ma chambre. Je bouscule Martine aux épaules et cours dans le couloir. La poignée se dérobe dans mes mains moites, mais j'ai le temps d'ouvrir la porte avant, et me précipite dans la cage d'escalier. Je descends toutes les marches deux par deux. Ou quatre par quatre. Je n'en sais rien. Mais je me dépêche. Les secours arrivent bientôt et je refuse d'imaginer ce qu'ils peuvent m'apprendre, ou comment ils sauront me réduire en miettes. Je n'ai rien d'un rat de laboratoire. Ils ne me toucheront même pas du bout du petit doigt.

Je n'ai jamais demandé ça, moi, je voulais juste une banquise à perte de vue pour oublier mon pouvoir.

Ma démarche devient de plus en plus aléatoire, et je faille tomber en débarquant sur le trottoir. Quelle idée de sortir pieds nus par ce temps ! Mon talon glisse sur une plaque de verglas, le vent glacial me brûle les yeux, déjà noyés de larmes, et je m'élance vers l'avant pour ne pas ralentir ma course. Mes yeux sont embués et je discerne quasiment rien autour.

Mon regard reste figé vers ce point, là-bas, au plus loin de mon horizon.

Les façades de chaque côté de la route défilent à une allure folle et me donnent l'impression d'être deux trains blancs lancés à vive allure. J'enfonce encore un peu mon menton dans le col de mon sweat et met ma capuche pour protéger mes oreilles déjà à moitié anesthésiée. Les passants qui me gênent le passage se décalent vivement sur le côté, parfois dans des ronchonnements qui rejoignent trop vite le bruit du vent pour que je puisse les comprendre.

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant