Chapitre 1 : Des étoiles en visite

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Confortablement installé sur son canapé, Rhys étudiait la proposition des producteurs assis en face de lui. Le scénario se démarquait par son originalité et le cachet satisfaisait à toutes ses exigences. Il retint un sifflement admiratif en reposant le dossier sur la table basse. Un travail aussi élaboré méritait que l'on s'y attarde.

— De quel pays avez-vous dit que vous veniez déjà ?

Le couple de producteurs s'agita, mal à l'aise. L'homme fuyait son regard. La femme se tortillait sur son siège. De tous les imposteurs auxquels il avait eu affaire, ces deux-là étaient, sans conteste, les moins crédibles.

Rhys leur retourna leur carte de visite. Un sourire carnassier étira ses lèvres à l'anticipation du plaisir qu'il prendrait à leur extirper leur confession.

— Vous n'êtes pas producteurs, affirma-t-il. Et si j'en crois ce que je vois, vous n'êtes même pas de ce monde.

Ils se décomposèrent. Rhys réprima à peine son hilarité. Il navigua de l'un à l'autre. L'homme ne passait guère inaperçu, avec son corps sculptural, ses mèches platine et ses prunelles saphir. A côté de lui, la jeune femme paraissait frêle et gracile. Son visage délicat et pâle, encadré de jolies boucles noires, s'ornait de sublimes iris émeraude.

Rhys se massa les tempes d'un air ennuyé et soupira : « Mon agent va être profondément déçu. Lui qui se faisait une joie de signer un contrat avec une nouvelle société de production... »

Ils ne tarderaient pas craquer. C'était une question de minutes, voire de secondes, à en juger par l'agitation de la jeune femme. Elle ne savait pas quoi faire de ses mains et ses talons martelaient nerveusement le sol.

— Nous sommes désolés d'avoir usé de ce subterfuge, s'excusa-t-elle.

Son compagnon attrapa sa main pour la dissuader de continuer. Elle le repoussa doucement avant de poursuivre : « C'était le meilleur moyen de vous approcher. »

Elle souffla, soulagée par sa confession. Son complice ne démentit pas ses propos. Son air résigné n'échappa pas à Rhys, un peu déconcerté par la facilité avec laquelle il leur avait extirpé leurs aveux. Ils lui gâchaient son plaisir. Étaient-ils à ce point naïfs ou dissimulaient-ils simplement leurs véritables intentions ?

— Qu'attendez-vous de moi, mademoiselle ?

Il marqua une pause. La carte de visite ne mentionnait que le nom de la société de production, aussi fictive que ses propriétaires.

— Pardonnez-moi, je crains de n'avoir pas bien saisi votre nom.

— Je m'appelle Albireo de Cygni, et voici Deneb, introduisit-elle.

— Eh bien, Alby, Den... appela-t-il avec une insolence délibérée. Que font deux étoiles si loin de leur constellation ?

— Vous savez ce que nous sommes ! s'étonna-t-elle.

Deneb ouvrit la bouche, la referma puis l'ouvrit à nouveau. Combien de temps durerait son hébétude ? Rhys leva les yeux au ciel, un peu désappointé. A son grand regret, la jeune génération d'étoiles s'avérait bien moins dégourdie que la précédente.

— J'en sais certainement plus que vous ne l'imaginez.

— Nous sommes à la recherche de l'une des nôtres. Une étoile ancienne. Cette planète est le dernier endroit où elle s'est rendue, expliqua Albireo.

— Nous l'avons cherchée partout, sans succès, ajouta Deneb, enfin remis de sa stupeur.

— Et vous espériez que je saurais où la trouver ?

— Vous êtes la seule signature énergétique atypique que nous ayons repérée, admit Deneb.

— Vous n'êtes pas une étoile, observa Albireo.

— En effet, je ne suis pas une étoile. Quant à celle, ou plutôt, à celui que vous cherchez, vous devriez renoncer. Il ne tient pas à être retrouvé. Et la barrière qu'il a érigée est — Rhys hésita, réfléchissant au qualificatif le plus adéquat — infranchissable.

— Une barrière ? interrogea Deneb.

— S'il apprenait votre existence, cette barrière serait le cadet de vos soucis, répondit Rhys.
Il n'en révéla pas davantage. Juste ce qu'il fallait pour attiser leur curiosité. Leur présence ravivait en lui des émotions devenues rares au fil du temps. La sagesse la plus élémentaire lui dictait de les renvoyer chez eux, toutefois il brûlait de découvrir ce qu'il adviendrait d'eux s'il leur offrait l'opportunité de le rencontrer.

— Pourquoi refuserait-il de nous recevoir ? questionna Albireo.

— Parce qu'à cause des vôtres, il a connu le paradis et l'enfer. »


Rhys observa les étoiles depuis la terrasse de son penthouse. Elles traversaient la rue en contrebas. Leur apparence éthérée détonnait dans ce décor de verre et de métal.

Albireo et Deneb de Cygni le suivaient depuis plusieurs semaines. Elles l'avaient observé de loin, sans parvenir à déterminer ce qu'il était. Elles se familiarisèrent rapidement aux coutumes humaines et cherchèrent un moyen de l'aborder. Se prétendre producteurs leur sembla approprié. Leur stratagème se révéla assez utile, bien que Rhys en distinguât rapidement les failles.

L'expérience ne lui manquait pas dans ce domaine, ni dans aucun autre par ailleurs. Il s'assurerait de remonter sévèrement les bretelles de son agent. Cet âne ne se privait jamais de lui envoyer des imposteurs ou des scénarios sans intérêt, pourvu que les producteurs proposent un cachet substantiel. Son pourcentage s'en trouvait augmenté d'autant. Réduire sa commission n'y changeait rien. Son avidité n'avait d'égale que son talent pour la négociation.

Une fois démasquées, les deux étoiles s'étaient présentées à Rhys comme des exploratrices. Elles voyageaient vers des mondes reculés à la recherche de vestiges de l'ancienne civilisation stellaire. Selon elles, le Firmament avait décliné suite à la disparition des étoiles anciennes et la jeune génération cherchait à restaurer sa grandeur passée.

Rhys s'était volontairement impliqué dans cette affaire, mais à la fin de leur échange, Albireo et Deneb étaient persuadés de l'avoir convaincu de les aider.

Il ressentait une telle excitation que son sang se mit à bouillir d'anticipation. Il calculait déjà les possibles dénouements de leur récente collaboration. Une fin funeste était envisageable, voire probable. Toutefois, il errait dans ce monde depuis assez longtemps. Les étoiles, elles, s'éteignaient. Ce privilège ne lui avait pas été accordé. En revanche, elles pouvaient le détruire. Un peu d'incitation les aiderait certainement à se décider.

La luminosité déclinait. La ville se teintait lentement de bleu et de violet, alors que les lumières s'allumaient un peu partout pour chasser l'obscurité grandissante.

Rhys retourna à l'intérieur. Il déverrouilla son smartphone et composa un numéro qu'il était le seul à connaître. Il chercha le ciel du regard et croisa son reflet dans la vitre : des cheveux noirs en bataille, un teint ambré, un front haut, des sourcils indisciplinés, d'immenses yeux noisette, un nez large, une bouche insolente et un sourire ravageur.

Après une éternité, la voix calme et mesurée du vieux majordome lui répondit.
« Monsieur Rhys...
— Comment va-t-il ? »

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