Deux jours ont passé depuis la visite de cet homme, et chaque jour, j'attends de le revoir pour lui rendre l'argent. Cette somme me pèse ; j'ai l'impression de lui avoir volé ses 20 euros. Ce n'est pas rien, après tout.
Je suis en train de remplir le frigo quand le tintement de la cloche retentit. Je l'aperçois : t-shirt noir, jean foncé.
Il s'assoit directement à la même table que la dernière fois.
Je prends un instant, le laisse s'installer avant de m'approcher pour prendre sa commande, et surtout, pour lui rendre son argent. Je respire profondément et m'avance vers lui.
« Bonjour, je peux vous servir quelque chose, monsieur ? »
Pourquoi j'ai dit "monsieur" ? On doit avoir le même âge... Qu'est-ce qui me prend ?
« Oui, un café, madame. »
Génial, il me prend pour une vieille maintenant.
« Très bien, je vous prépare ça. Et au fait, je voulais juste vous dire que la dernière fois, vous avez oublié... Enfin, vous avez laissé de l'argent sur la table et... euh... »
À haute voix, ça sonne vraiment stupide.
« Ah, parce que le café est gratuit ici ? »
« Non, non, je veux dire, il y avait plus que le prix du café sur la table. »
« bah, c'était un pourboire. »
« C'est juste que, vu le montant, j'ai cru à une erreur. Désolée si je vous ai embarrassé avec ça. »
« je suis pas embarrassé » il me répond calmement avec un sourire bienveillant.
Il termine sa phrase et me fixe, s'appuyant contre le dossier de sa chaise. Nos regards se croisent, et un nœud se forme dans mon ventre, cette sensation oppressante que je n'aime pas, ces fameux papillons qui, parfois, ressemblent davantage à de l'angoisse. L'amour, pour moi, c'est quelques chose d'effrayant...
Je me ressaisis et retourne au bar pour lui préparer son café. Je le lui apporte, discrètement, puis je m'occupe des autres clients.
Allez, Abir, concentre-toi. Ce n'est qu'un beau gosse, d'1m90, avec un regard perçant et des cheveux brillants comme dans une pub de shampoing, pas de quoi en faire toute une histoire.
Je suis accroupie derrière le bar quand j'entends la cloche à nouveau. Je me relève et le vois partir. Je me dirige vers sa table et retrouve un billet de 20 euros. Décidément, il est soit incroyablement généreux, soit complètement insensible à la valeur de l'argent.
Je prends le billet et le glisse dans mon tablier. Si tous les clients étaient aussi généreux, je pourrais déjà m'offrir la voiture que je rêve d'acheter.
Pendant les dix jours qui suivent, il revient presque tous les jours, toujours la même routine. Il s'assoit en silence, passe des appels, et parfois d'autres hommes viennent le rejoindre pour discuter brièvement avant de repartir.
Ses pourboires, eux, ne cessent d'augmenter : 20 euros, 30 euros, un jour même 50 euros. Je me sens gênée, mais aussi trop intimidée pour le confronter.
Je garde tous ces pourboires de côté. Cela fait six mois que j'économise pour m'acheter une voiture. Avec 800 euros, difficile de trouver une Clio d'occasion qui roule bien.
Et il y a aussi mon école à financer...
Il reste toujours une heure, parfois un peu plus. Je me demande ce qu'il fait ici, en plein après-midi un mardi. N'a-t-il pas de travail ? Enfin, je dis ça sans vouloir être méchante.
Il est 16h, mon service est terminé, et Serena est arrivée pour prendre la relève.
« Dis donc, c'est qui ce mannequin à la table 7 ? »
« Un habitué, on peut dire. Et ne sois pas choquée par le pourboire. »
« Sérieux ? Mais il est pour toi, je ne l'ai même pas servi ! »
« Oui, mais tu vas débarrasser. »
« Ok, moitié-moitié alors ! »
« N'importe quoi ! Bon, j'y vais. Bisous ! »
Je sors rapidement du café pour attraper mon bus.
Dès que je passe la porte, la chaleur me frappe de plein fouet. Cette canicule est insupportable ! Je me mets à courir jusqu'à l'arrêt, mais j'arrive juste à temps pour voir mon bus me passer sous le nez. Le prochain n'est pas avant une heure... Autant marcher. Une heure sous 30 degrés, génial.
Je mets mes écouteurs et m'évade dans la musique. Les rues sont désertes, tous sont sûrement partis se rafraîchir ou en vacances.
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