Il reprend le collier dans sa main, l'examine un instant, puis le remet dans sa poche.Je sais qu'il sent que je ne suis pas prête à le recevoir encore. Alors il le garde.
C'est incroyable, en réalité. Je réalise que je n'aurais pas pu accepter qu'il soit autour de mon cou. Ça aurait été trop facile. Je ne suis pas encore à l'aise avec tout cela ; j'ai besoin de comprendre certaines choses et d'accepter ce cadeau à ma manière. L'accepter aurait voulu dire accueillir son retour dans ma vie, et c'était un pas que je n'étais pas prête à franchir.
— "Jabari, j'ai une autre question," dis-je, prenant une grande inspiration. "Je ne comprends pas comment nos chemins se sont croisés. Qu'est-ce qui a fait que tu m'as remarqué ?"
Il s'arrête un instant, hésitant. Je peux voir qu'il se mord la lèvre, une habitude qu'il a quand il est nerveux.
— "Faut qu'tu saches quelque chose sur moi," commence-t-il, sa voix se teintant de gravité. "Quelque chose que tu accepteras sûrement pas. C'est cette vérité que j'ai voulu garder pour moi si longtemps, parce que j'avais peur de ta réaction. Et ce serait normal, d'ailleurs."
Il marque une pause, et je sens une tension palpable dans l'air.
— "Mais voilà, ma vie elle est ... compliquée wAllah. J'ai un passé pas très glorieux et j'ai fait des erreurs. Des erreurs que je j'ai jamais vraiment osé affronter."
Je fronce les sourcils, essayant de comprendre où il veut en venir, mais les pires scénarios traversent déjà mon esprit.
— "Quand je t'ai vue pour la première fois, quand j'ai vu ton sourire," continue-t-il, "je me suis dit : cette fille-là, c'est une étoile, elle est magique. Et moi, j'suis loin d'être tout ça. J'vais la gâcher, j'vais l'empêcher de briller. J'voulais pas la salir en étant à ses côtés."
Il remarque mon visage se plier sous l'incompréhension, alors il ralentit.
— "La première fois que je t'ai vue, c'était en photo."
— "En photo ? Mais... je ne poste rien sur les réseaux. Mon compte est privé." Je ne comprends pas.
— "Abir, je ne sais pas si tu es prête à entendre ça," dit-il, un frisson d'inquiétude traversant ses mots.
— « Après tout ce temps, je pense être prête. Alors, s'il te plaît, libère-moi et dis-moi la vérité."
Il prend une grande inspiration, me regarde dans les yeux, puis lâche la bombe.
— "Tu te rappelles quand tu t'es fait cambrioler ?"
Le temps s'arrête. Je ne peux pas croire qu'il s'apprête à me révéler ce que je crains. Je secoue la tête, comme pour chasser une idée effrayante.
— "C'était moi, avec des potes," dit-il enfin, sa voix tremblante. "J'te connaissais pas à ce moment-là. Je me suis infiltré chez toi ce soir-là et j'ai vu ta photo. Enfin, j'ai compris que c'était toi, parce que je t'ai vue réapparaître sur différentes photos. Juste en photo, j'ai remarqué ton sourire. Et, dans le feu de l'action, j'sais pas pourquoi, ça m'a stoppé. Je t'ai regardée un instant, mais j'étais pas seul. Alors j'étais obligé de continuer. Ça faisait longtemps que j'avais pas fait ça, quand j'étais gamin j'en faisais souvent.
On m'avait dit qu'il y avait juste un bon plan. Apparemment, on s'était trompé. Tu avais un peu d'espèces chez toi, mais pas tant que ça. C'est moi qui suis tombé sur l'argent, et quand j'l'ai vu, je l'ai re- cacher dans ton tiroir. Les bijoux et les autres trucs, c'est mes potes ; je leur ai racheté. Et c'est pour ça que je t'ai déposé tout ça sur ton palier."
Dans ma tête, je me dis que j'ai vraiment été naïve. Comment ai-je pu ne pas faire le rapprochement ?
— "Tu es rentré chez moi et tu as ouvert mon tiroir, où il y a mes sous-vêtements. Tu t'es introduit dans mon appartement pour me voler ? T'es un voleur ?"
— "Non, enfin oui, mais c'est pas c'que tu crois," interrompt-il, visiblement mal à l'aise.
— "Et l'argent que tu m'as donné avant de partir ? C'est 15 000 euros, là ça vient aussi un cambriolage !"
— "Non, non, je te jure, ça ne vient pas d'un cambriolage. Je t'ai dit que j'fais plus ça."
— "Tu fais quoi alors ?" demandai-je, ma voix se brisant légèrement.
Il baisse la tête, se frotte le crâne, comme s'il cherchait les mots.
— "Je fais des trucs pas bien, Abir, j'en suis pas fier. Mais avant de t'avoir vue sur cette photo, je te jure que j'étais déconnecté de la vraie vie. Toi, tu es la seule chose qui m'a donné envie d'arrêter tout ça. Et aujourd'hui, je t'assure, j'ai arrêté."
Je lui réponds, le cœur lourd :
— "Tout l'argent que tu m'as donné, les pourboires, l'enveloppe, les cadeaux... c'était payé avec de l'argent sale. J'ai payé mes études avec de l'argent sale. J'ai payé ma voiture avec de l'argent sale."
Il reste silencieux, la honte marquant son visage.
— "C'est pas de l'argent sale, Abir. Toi, tu savais rien."
Il continue :
— "C'est pour ça que je suis resté à distance. Je ne voulais pas t'imposer ça. Je ne voulais pas que tu sois mêlée à cette vie, à ces choix de merde que j'ai pu faire. Tu mérites tellement mieux."
Nous restons là, face à face.