Scène IX

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Cette parole, froide comme la glace, coupa profondément. Javert baissa la tête, mortifié. M. Madeleine n'apprécia pas le spectacle, mais il ne dit rien. Une école contre l'humiliation de l'inspecteur !

Javert se soumit et s'excusa sans chercher à se justifier. Il resta au garde-à-vous, stoïque. Monsieur Desmarest fit apporter une boîte de bois, longue et précieuse, joliment ouvragée, puis la déposa entre les mains de l'inspecteur.

« Pour vous remercier, inspecteur. »

Javert dégela et remercia machinalement. Conscient de l'attente générale, il ouvrit la boîte et en sortit un magnifique pistolet d'officier. Javert le soupesa puis, encombré par la boîte, il fut soulagé de la donner à M. Madeleine qui s'était aimablement approché de lui pour l'en décharger.

L'inspecteur de police leva l'arme et la pointa en avant, appréciant le poids et la sensation, se tenant dans une position impeccable pour tirer.

« Vous voulez l'essayer, inspecteur ?, demanda M. de Rominy, content de cette attitude intéressée.

- Veuillez m'excuser, messieurs, se troubla l'inspecteur. Je vous remercie profondément mais c'est un trop beau présent pour un acte somme toute normal pour un policier.

- Normal ?, s'indigna monsieur Desmarest. Vous avez sauvé ma fille ! La vie de ma fille est un présent bien plus précieux qu'un pistolet !

- Bien sûr, monsieur, se reprit amèrement Javert. Mais on ne doit pas remercier un simple subalterne pour avoir accompli sa tâche. Tout autre policier aurait agi de la même façon. Je suis content d'avoir été là. Cette invitation est déjà un présent à mes yeux.

- On ne le dirait pas mais monsieur l'inspecteur a le sens de la bienséance tout compte fait, » lança M. de Rominy, venimeux.

Nouvelle attaque faite avec le sourire. Javert pâlissait, les yeux baissés.

« Paix Pierre !, opposa M. Desmarest. Paix pour notre inspecteur ! C'est un homme courageux, fier et sauvage. Il a sauvé ma fille, ta future belle-fille. N'oublie pas cela !

- Tu as raison André. J'oublie pourquoi il fallait remercier l'inspecteur. »

Un sourire enfin cordial apparut sur les lèvres du vieil aristocrate et M. de Rominy tendit la main au policier. Javert hésita une fraction de seconde puis il accepta la main tendue. Ensuite, il serra la main de M. Desmarest.

Enfin, farouche, il salua tout le monde en s'inclinant bien bas et quitta la salle.

Alors qu'il était en train de remettre son manteau, un homme s'approcha de lui et le fit soupirer avec irritation.

« M. Madeleine, vous êtes impossible !

- Je voulais les excuser. Je voulais m'excuser. Je...

- Vous oubliez qui je suis, monsieur. »

M. Madeleine s'était approché et se tenait tout proche de Javert, dans l'entrée plongée dans la pénombre de la maison des Rominy. Des éclats de la fête et de la danse leur parvenaient. Soudain, le policier leva la main et la posa sur la poitrine de monsieur le maire, la caressant un instant, coupant le souffle à ce dernier.

« Javert, murmura Valjean, essoufflé tout à coup.

- Moi je n'oublie pas qui vous êtes ! Jamais ! »

La main se retira et les yeux se firent glaciaux. Puis le policier s'en alla précipitamment.

M. Madeleine luttait pour reprendre son souffle. Oui, Javert était dangereux, à plus d'un titre. Mais n'était-ce pas ce qui faisait son charme ?

Le secret de l'inspecteur JavertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant