Pensées contradictoires
ICHIRO
L'épaule nonchalamment appuyée contre la façade avant de mon immeuble, je décroise les bras pour amener la cigarette à mes lèvres de nouveau. Je clos les paupières le temps d'inhaler la fumée, me concentrant sur la nicotine qui s'infiltre lentement dans mes poumons et m'apporte pendant quelques secondes une sensation d'apaisement. Quand je rouvre les yeux en expirant, ils s'attardent sur toutes les voitures qui se suivent et celles qui klaxonnent comme si ça allait changer quelque chose au bouchon. Mais mes pensées, elles, s'en vont loin. Très loin. Tout ce qui m'entoure disparaît - les grands immeubles, la longue file de voitures qui ne finit pas, les piétons trop bruyants - et je me retrouve perdu dans une autre dimension. Plus maussade.
La première chose qui me vient à l'esprit c'est le visage de ma mamie ce matin quand elle lisait les factures qu'on a à payer pour ce mois-ci. Avant qu'elle ne m'aperçoive, j'ai vu la fatigue tirer ses beaux traits. Elle s'est passée une main sur le visage en fermant les yeux et elle a soupiré. Un soupir éreinté, comme si elle portait tous les fardeaux de la terre sur ses frêles épaules, et je me suis senti mal de ne pas encore avoir trouvé comment l'aider. Pourtant aussitôt que je suis rentré, elle a récupéré toutes les enveloppes sur la table pour les tenir derrière son dos puis elle m'a sourit. De ce même sourire qu'elle me faisait quand j'avais cinq ans et qu'elle voulait me rassurer après une chute à vélo. Sauf que plus de dix ans plus tard, nos problèmes ont bien changé et malheureusement un sourire ne suffit plus à faire disparaître ce qui nous tracasse.
Mes pensées divergent vers ma sœur et je secoue tristement la tête en repensant à la semaine dernière. Après avoir reçu un appel de sa part qui m'a très vite fait comprendre qu'elle n'était pas dans son état normal, j'ai pris ma moto pour rejoindre l'adresse, que j'ai réussie à lui soutirer, aussi vite que j'ai pu. C'était un appartement miteux à l'autre bout de la ville. Il y avait trois hommes et deux femmes, dont ma sœur. Hanaé se fourre toujours dans des situations impossibles où je n'ai pas d'autres choix que de l'aider. J'ai compris depuis longtemps que c'est sa manière d'affronter les problèmes de la vie, autrement dit se bourrer la gueule pour oublier ou se trouver un nouveau mec pour s'amuser. Mais là, c'était encore plus glauque que d'habitude. Je n'ai pas eu besoin de sonner, la porte était ouverte. Je me suis avancé promptement en la cherchant des yeux. Ils étaient tous là, assis dans le salon. Les battements de mon cœur se sont accélérés en voyant ma sœur à peine consciente, avachie sur le canapé, juste à côté d'un mec qui se penchait sur la table pour sniffer une longue traînée de poudre blanche. Il a lentement relevé son crâne rasé de près vers moi, et je jure qu'on se serait cru dans un mauvais film. Une demi-heure plus tard, quand j'ai installé Hanaé sur ma moto, j'avais la lèvre fendue, un hématome sur la joue et le goût abject du sang dans la bouche. Ça je pouvais très bien le supporter. En revanche, l'amertume que je développe à l'égard de ma sœur à chaque fois que je dois la sortir d'une merde de ce genre, ça c'est autre chose.
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Nos combats les plus précieux
Novela JuvenilQuand trois adolescents tourmentés par la vie trouvent la force de continuer à se battre dans leur amitié... Kessyah, Jarek et Ichiro nouent un lien fort et unique lors de leur dernière année de lycée, cette période de croisement entre les derniers...