Chapitre 13 : Une vieille amitié /Mikey/

45 2 0
                                    

Je me laisse tomber dans l'herbe, épuisé. En face de moi, le soleil se couche lentement, éclairant le fleuve.

- Et merde.

Je me prend la tête entre les mains. Il est bientôt 21h. Je dois me dépêcher, mais j'ai aucune envie de bouger. Après tout, ça fait quoi ? Trois ans que j'évite ce moment. Celui où je vais devoir m'excuser auprès de Silver. Au bout de quelques minutes, je me lève à contre cœur. Faut que j'y aille. Je traverse les rues sombres le plus lentement possible et arrive en vue d'un passage piéton. J'aperçois Silver de l'autre côté de la route. Elle a les yeux dans le vague, mais bizarrement, elle a un air beaucoup moins déprimé que d'habitude. J'ouvre la bouche pour l'appeler quand un hurlement retentit. Je me fige. Au milieu de la route, une gamine s'est étalée de tout son long, et un énorme camion arrive à toute vitesse. Dans la rue, tout le monde crie d'affolement, et les parents de la petite, qui s'étaient éloignés, regardent la scène sans pouvoir réagir. Mais il est trop tard. Le camion n'est plus qu'à quelques mètres de la petite.

Soudain, quelqu'un saute au milieu de la route, ramasse la gamine au passage et roule sur le côté en la serrant de toute ses forces. Au dernier moment. Le camion les frôle en klaxonnant le plus fort possible et s'arrête, quelques mètres plus loin. Dans la rue, c'est le silence total. Tout le monde est figé. À côté du trottoir, deux corps sont étalés, inertes et serrés l'un contre l'autre. Celui de la gamine. Et celui de Silver, qui a atterri la tête la première sur le béton en protégeant la petite de toute sa hauteur. Alors, doucement, très doucement, la gamine se relève. Elle est à côté de Silver, qui lui a passé la main derrière la tête pour la protéger. Et elle n'a aucune blessure. Ses parents se précipitent vers elle, tremblants de peur et de joie. Moi, je cours vers Silver et m'agenouille près d'elle. Elle a les yeux fermés.

- Silver ! Silver ! Réponds-moi, putain !

- Deux minutes.

- Quoi ?

- Laisse moi souffler deux minutes.

Je rêve. Un rien agacé, je la regarde se redresser avant passer son bras sur mon épaule pour l'aider à se relever.

- Ça va ?

- Comme si je venais de me casser la gueule sur le béton.

- ... Au moins, la tête est pas touchée.

- C'est ironique ou c'est moi ?

- Les deux. Tu...

- Mademoiselle !

La mère de la petite se tourne vers nous, les larmes au yeux. Une foule de passants nous entourent, beaucoup ont leurs portables à la main. La femme continue :

- Je ne vous remercierai jamais assez d'avoir sauvé ma fille, si je peux faire quoi que ce soit, vous pouvez...

- Je n'ai besoin de rien.

- Mais...

- Je n'ai pas sauvé votre fille pour que vous me remerciiez les larmes aux yeux, mais pour qu'à l'avenir vous fassiez plus attention à elle. Elle a encore toute la vie devant elle, ne lui gâchez pas cette chance.

Silver a parlé avec une pointe de colère, mais surtout de tristesse dans la voix. La femme acquiesce tout en continuant de la remercier, ce qui l'exaspère au plus haut point. Je me retiens de rire devant son regard qui me supplie de l'emmener ailleurs. Tout en continuant de la soutenir, je m'éloigne, et l'emmène se poser sur les marches d'un building. Nous restons quelques minutes sans rien dire, puis je déclare :

- T'es complètement cinglée.

- Parce que je me suis jetée sous un camion ou parce que je te propose une alliance ?

Je lâche un petit rire.

- Les deux. Encore.

Je m'attendais à ce qu'elle reprenne un air déprimé, mais à la place, elle lève la tête avec un petit sourire. Un sourire...

- Tu souris.

- Hein ?

- Tu recommence à sourire.

- ... Après cinq ans... Il était sans doute temps, non ?

- T'as raison. De toute manière, tu as changé, ces derniers mois. Tu n'es plus... sombre comme avant. Et je crois savoir pourquoi.

- Dis toujours.

- Chifuyu Matsuno.

- ... Peut-être.

- ... Silver... Je... suis désolé.

- Pourquoi ?

- Pour il y a trois mois. Pour il y trois ans. Et pour ne pas m'être excusé avant.

- Pour la bataille il y a trois mois, c'est en partie ma faute. Et pour... Il y a trois ans... Je ne sais pas. J'y étais aussi pour quelque chose.

- Non. Cette fois ci, c'était moi uniquement. Dis moi... Comment tu t'en es sortie, avec les flics ? Pour... le mort ?

- Ils n'ont aucune idée de qui c'était. Et de toute manière, les flics ne se mêlent pas de mes affaires.

- Tss. Le Loup Blanc leur fait peur.

- Non. La guerre de gangs leur fait peur. Si j'avais tué ce mec dans la rue et pas au milieu d'une bataille, je serais passée de l'hôpital à la prison directement, peu importe qui j'étais.

- ... La guerre dont tu parle, tu veux la provoquer. Pourquoi ?

Silver tourne la tête vers moi pour m'observer un instant. Finalement, elle lâche :

- Pour en finir avec Shiro.

Je marque un temps d'arrêt. De vieux souvenirs me reviennent à l'esprit. Des souvenirs d'il y a trois ans. Silver et moi n'avons pas toujours étés ennemis. À cette époque, nos gangs ne se dérangeaient pas l'un l'autre. On s'était rencontré par hasard, une nuit où elle fumait, appuyée contre un arbre. Moi, je m'étais barré de chez moi après une engueulade familiale. Elle m'avait entendu maudire le monde entier à voix haute et m'avait simplement et naturellement demandé de la fermer.

"- Eh, le blondinet.

- T'es qui, toi ? T'as un problème ?

- Oui. Ça fait une demie heure que tu me casses les oreilles, donc ferme-la ou va grogner ailleurs.

- ... T'es pas bien, ou quoi ? Tu sais qui je suis ?

- Mikey, le blondinet de chef du Toman.

- ... Tu le sais et tu me manque quand même de respect ? T'es pas bien ?

- Non, mais ça change rien. Casse toi.

- ... Fais gaffe, si je t'en colle une, tu vas la sentir passer.

- Fais gaffe, si tu fais ça, tu vas le regretter."

Je l'ai regretté. Je me suis pris la plus belle raclée de toute ma vie, et j'avais même pas réussi à lui mettre le moindre coup de poing. À partir de ce moment là, on s'est souvent revu, le soir. Elle m'entraînait à combattre. Elle ne parlait jamais d'elle. Je me demandais pourquoi elle ne souriait jamais, pourquoi elle avait toujours des cernes et une clope à la main, quand c'était pas une bière. Elle était plus jeune que moi, mais tellement plus forte et mature. C'était une des rares personnes que j'admirais. Je n'ai appris que plus tard qu'elle était le Loup Blanc de Tokyo. Celui qui me l'avait dit, c'était Shiro.

Silver Heart (Chifuyu x oc)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant