1.

45 1 0
                                    

1985.

Après de nombreuses polémiques, prévisibles alors qu'il s'agit d'imposer la modernité au cœur du Palais du Louvre, le chantier de construction de la pyramide de verre imaginée par Ieoh Ming Pei débute. Sous haute tension, donc, mais ce n'est pas plus mal. Toute publicité est bonne à prendre et tandis que les médias, les architectes, les conservateurs et une partie de la population se déchaînent, ils ne se rendent pas compte que le déferlement de protestations ne fait que contribuer au succès de l'opération. Pendant des semaines, on ne parle que de ce projet, le chantier sera suivi de près, chaque étape sera scrutée, l'événement est quasiment mondial. C'est bien l'objectif du président François Mitterrand : marquer les esprits ! Imprimer son nom dans les livres d'histoire, pour que son image brille au-delà de la durée de sa présidence. Laisser une trace indélébile dans la capitale française, tous les politiciens en rêvent. Dans le cas présent, il n'y a certainement pas eu de plus grand événement depuis la construction de la tour Eiffel. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard — car dans ce projet rien n'est laissé au hasard — si l'inauguration doit se faire en 1989, deux siècles après la Révolution, un siècle après l'exposition universelle qui a vu s'ériger la Dame de fer.

Les médias restent bien informés du déroulé de ce chantier décrit comme pharaonique, ce qui ne fait pas preuve de beaucoup d'imagination puisque l'on parle de la construction d'une pyramide ! Mais comme toujours, les informations transmises ne sont que celles filtrées par le pouvoir. Il faut des scandales, même de pacotille, pour cacher certaines réalités. Ce que le grand public n'apprendra pas, c'est que seulement deux mois après le début du chantier, les travaux ont été suspendus, les ouvriers renvoyés chez eux, et la quiétude du Président, dans l'espace feutré de son bureau du Palais de l'Élysée, a été perturbée.

– Navrée de vous déranger, monsieur le Président.

– Que se passe-t-il encore ?

– Monsieur Pei vous demande de venir séance tenante sur le chantier de la pyramide.

François Mitterrand jette un regard noir à l'assistante qui s'est dévouée pour être l'oiseau de mauvais augure.

– La police est-elle déjà sur place ?

La première réaction du chef de l'État est de penser qu'un quelconque groupe de protestataires a envahi le chantier pour scander de vains slogans contre la défiguration du patrimoine national.

– L'architecte a renvoyé les ouvriers, il n'y a plus que lui.

Le regard du Président change subitement. Cette information ne concorde pas avec ses propres schémas de pensée. Si Ieoh Ming Pei a fait usage de son autorité pour prendre une telle décision, c'est forcément que le problème est plus grave que prévu.


2018.

David Desroches est arrivé à New York City il y a à peine deux heures. N'ayant pas vraiment de temps à perdre, et même si cela va lui coûter une véritable petite fortune — au regard de ses finances d'étudiant en Histoire de l'art — il se décide à prendre un taxi. Il faudra tout de même un long moment, au milieu des bouchons de la ville qui ne dort jamais, pour atteindre Sutton Place, un quartier cossu de Manhattan, au bord de l'East River. Loin des buildings impressionnants, ce sont de jolies maisons individuelles qui se dressent ici, entourées de jardins luxuriants. Dans ce décor féérique, David a honte de son accoutrement. Il croise quelques personnes qui promènent, chacune, cinq chiens. Ce sont certainement des dog sitters, car les riches ne promènent pas leurs animaux, ils les font promener. Mais rien que ces employés semblent revêtir des vêtements de haute couture et avancent dans les rues comme les mannequins sur les podiums.

Près de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant