Quinze heures. Pascal a déjà terminé la mise en place technique du site vitrine commandé par Maryline et ordonné par ceux qui ont un moyen de pression sur lui. Il avait la motivation et de toute façon, pour lui, il n'y a vraiment rien de très compliqué. Il manque pourtant une étape importante, pour laquelle il va falloir qu'il se déplace dans le café. Certes, il y a déjà des photos sur Google, mais d'une qualité si médiocre que même lui ne pourra pas les rattraper avec Photoshop. Normalement, il demanderait à la cliente d'envoyer des clichés en plus haute définition, mais cette commande est devenue prioritaire et même s'il ne comprend pas réellement l'enjeu, il sait qu'il n'a pas le droit de décevoir ceux qui lui ont demandé de tout faire pour que ce site soit parfait et surtout qu'il apparaisse pratiquement lors de n'importe quelle recherche. D'ailleurs, c'est à cela qu'il va s'atteler maintenant. Il existe bien entendu plusieurs logiciels, que l'on nomme plug-ins pour les sites, permettant de créer artificiellement un excellent référencement. Mais rien ne vaut une attention particulière portée aux mots-clés qui sont employés dans les titres, les textes et les métadonnées. Il va devoir consacrer encore au moins une heure à ce travail.
Quinze heures, David ouvre le carton qui contient toutes ses affaires abandonnées il y a cinq ans. Les vêtements ont été jetés, ils sont trop rapidement dégradables et il y a un risque trop élevé de voir proliférer des mites. Il ne reste que ses baskets, dont il s'en fiche complètement, mais elles pourront servir le temps qu'il refasse réellement sa garde-robe. Il y a aussi quelques bibelots, comme autant de souvenirs du passé qui, sans le côté affectif n'auraient absolument aucune valeur. Il ne sait pas encore s'il va les garder. Il y a la tentation de repartir de zéro, mais pour l'instant il ne se sent pas la force de prendre une décision aussi radicale. Enfin, il y a son ordinateur portable. Apparemment, il a pas mal souffert de l'humidité, il serait étonnant qu'il fonctionne encore. Il le branche, appuie sur le bouton principal. Rien ne se passe. Tout espoir n'est sans doute pas perdu, il faudra qu'il trouve comment récupérer ce qui est stocké sur le disque dur. Un ordinateur peut se racheter, les données qu'il contient sont beaucoup plus précieuses. Déjà, la liste des choses à faire s'allonge considérablement.
Il va commencer par une priorité somme toute assez futile. Il enfile un jogging et un tee-shirt, c'est à peu près tout ce qu'il y avait de potable au Monoprix, puis il chausse ses baskets, aucun risque qu'elles ne lui aillent plus. Il est certes amaigri et flotte dans ses vêtements même en ayant pris la taille S, mais pour ce qui concerne les pieds, à moins d'un accident, rien ne change vraiment. Il a contacté plusieurs coiffeurs, ce n'est pas ce qui manque. Difficile de savoir ce qu'il y a le plus en France : des boulangeries, des banques ou des salons de coiffure ? Parfois, on dirait qu'il n'y a que ça, et ce sont des commerces qui fonctionnent, même lorsqu'il s'en trouve cinq ou six dans la même rue. Par chance, il a réussi à avoir un rendez-vous, il faut vraiment qu'il reprenne une apparence plus humaine. Certes, il ne dénote pas au milieu d'une ville de hipsters has been. La mode étant passée, ce sont désormais juste des personnes trop fainéantes pour s'entretenir, David ne veut pas faire partie de ce petit monde. En y réfléchissant, ce n'est pas étonnant qu'il ait pu avoir un rendez-vous aussi vite. Ceux qui décrochent encore leur téléphone ne sont pas sur une application, ils ont donc moins de clients, car maintenant, même une conversation de deux minutes est de trop pour des plannings surchargés par du vide.
Il arrive devant le Barber Shop. Il n'a pas envie d'entrer. Rien que depuis la vitrine, il sait que cet endroit n'est pas fait pour lui. Une espèce de décor faussement vintage, des coiffeurs tatoués et à la coupe « sac poubelle » — une boule de cheveux ridiculement tenus par un élastique sur le sommet du crâne. Ce n'est pas vraiment l'image qu'il se fait d'un coiffeur de quartier. Il n'ose même pas regarder les prix qui sont affichés. C'est un sacrifice qu'il va consentir le temps de s'habituer à son nouvel environnement et de trouver un salon de coiffure « normal ». Lorsqu'il entre, il arrive parfaitement à interpréter les regards à la fois des coiffeurs et du client. Ils ont une furieuse envie d'appeler la police alors qu'un SDF vient de pénétrer dans leur salon pour leur voler des produits inutiles coûtant une fortune. Difficile de savoir ce qu'un sans domicile fixe ferait avec un shampoing pour raviver les couleurs d'origine, il est même compliqué de comprendre ce que cela veut dire.

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Près de minuit
Fiksi PenggemarDavid se voyait archéologue, son enthousiasme l'a conduit à profaner le passé. Maryline a ouvert sa librairie-café thématique, une fiction devenue réalité. Pascal a une vie parfaitement réglée, que rien ne devait venir troubler. Ils ne se connaiss...