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2023.

Neuf heures du matin. Maryline Vigée finit de se préparer. Dans le miroir en pied, elle regarde si tout est parfait. Il s'agit d'une journée importante pour elle. Plus que les autres jours, elle ne s'autorise aucun petit défaut. Les chaussures, d'abord. Ce sont des bottines bleues confectionnées uniquement pour elle. Non pas qu'elle ait un pied délicat qui nécessite du sur mesure, ce n'était pas le problème. Non, la difficulté était bien de réussir à retrouver exactement ce bleu-là, à partir d'une référence qui n'existe pas dans la réalité. Heureusement, aujourd'hui on peut facilement trouver une solution à tout, même s'il faut correspondre avec une entreprise à l'autre bout du monde. Internet a réduit les frontières du commerce à peau de chagrin et les logiciels de traduction instantanée permettent de communiquer avec n'importe qui, quelle que soit la langue. Ce fameux bleu, il fallait qu'il coïncide exactement avec le personnage de manga qu'elle incarne. Pour la même raison, le vêtement a été taillé sur mesure, car il n'existait pas encore. Il s'agit d'une combinaison intégrale, toujours de ce même bleu, très près du corps, simplement ornée d'une ceinture jaune.

Elle en a fait confectionner sept exemplaires. Ce qui a partiellement grevé son budget, déjà assez limité, mais cet accessoire est indispensable, il faut que la tenue soit parfaite au point d'être reconnaissable immédiatement. Elle incarne un personnage de fiction, la réalité doit correspondre en tous points. Il faut aussi qu'elle fasse très attention à son hygiène de vie. Du sport quotidiennement, des plats toujours diététiques. Elle ne peut pas se permettre de prendre un seul gramme, ce qui anéantirait l'incarnation de son personnage. C'est beaucoup plus simple d'être une fiction, on ne risque pas de prendre du ventre ou des hanches. Dans la réalité c'est une attention de chaque instant qu'il faut porter à soi-même. Puis elle scrute ses cheveux. Ils sont aussi assez compliqués à gérer. Les siens ont tendance à friser alors que pour ressembler au personnage du manga, il faut des cheveux parfaitement lisses. Ce qui nécessite d'y passer parfois plus d'une heure pour atteindre le résultat escompté. Mais cela en vaut la peine et, une fois de plus, c'est totalement indispensable. Satisfaite, elle attrape son sac et sort de son appartement.


Neuf heures du matin, David Desroches est place de la Concorde. Tout l'agresse : le bruit des voitures et les coups de klaxon intempestifs, les vélos qui viennent de tous les côtés et ces cyclistes qui se croient seuls au monde, les trottinettes et autres inventions motorisées qui manquent d'écraser les piétons, la foule et le sentiment presque palpable que chacun déteste son prochain. David ne reconnaît plus le monde qu'il a quitté il y a cinq ans. Il arpente les rues, étonné par la prolifération des restaurants véganes, des magasins éphémères, des pâtisseries qui vendent un croissant à dix euros. Qu'est-ce qui a pu arriver à cette ville pour générer de tels changements en si peu de temps ? Il n'a pas vraiment le loisir de tout observer, il a plusieurs missions à remplir avant la fin de la journée. Il se dirige vers un commerce qui ne risque pas de fermer boutique ou de changer de nom : la succursale de sa banque !

– Veuillez reculer, monsieur.

Le vigile doit certainement le prendre pour un sans domicile fixe. Il est vrai qu'il n'a pas pu se changer. Il entame sa réapparition dans le monde civilisé en ne portant que ce qui s'apparente à des haillons. Le problème est que, s'il veut pouvoir s'habiller correctement, il lui faut de l'argent. Et pour avoir de l'argent, il faut qu'il soit bien habillé.

– J'ai un compte ici.

– Papiers d'identité.

David garde son calme. Même si, il le sait, le vigile n'a pas le droit de lui demander ses pièces d'identité — il n'est pas un policier assermenté — il faut en passer par là, coopérer. Ce n'est pas à la riche dame avec son caniche dans les bras qu'on refuse l'accès, évidemment, elle on ne lui demande pas ses papiers. Pourtant elle pourrait porter un déguisement, cacher une arme dans son sac à main et avoir pour projet de braquer la banque. David sourit en imaginant cette mamie terrorisant soudain tout le monde avant de repartir avec le magot, en courant, tirant la laisse de son caniche récalcitrant qui aurait de la peine à suivre le rythme. Au moins, ce petit scénario lui permet de patienter jusqu'au retour du vigile qui a fait contrôler sa pièce d'identité à l'accueil.

Près de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant