Doutes - partie 1

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RYRN

Irfan... un serpent aux valeurs inexistantes, plus qu'un seigneur marchand à mes yeux. Je devais malheureusement faire bonne figure alors qu'il séjournait à Rodürz et endormait mon père d'une main tendue plus fausse que les ronds de jambe d'un diplomate. Après le caprice de son fils Dastan, il s'était enfermé dans sa caravane monstrueuse dont le transport ne fut guère une sinécure pour nos bêtes ailées.

Combien de temps comptaient-ils y rester ?

Je l'ignorais.

L'astre lumineux se dissimulait derrière les hauts pics de la chaîne montagneuse, peignant le ciel d'une palette chatoyante, tandis que nous n'avions toujours pas de nouvelles... et que mon père restait sourd à mes avertissements.

Craignant que quiconque surprît mes mots, je lâchai l'affaire.

Il fonçait droit dans un mur à accepter l'aide intéressée d'Irfan, mais je comptais bien lui jeter des bâtons dans les roues. En tant que nïrsslya et protégé des dragons, certes endormis, je gardais un certain poids auprès du peuple. Même si je restais trop jeune pour ajouter ma voix aux décisions politiques, elle pouvait les orienter de l'extérieur.

— Tu me parais bien calme, lâcha Listair, installé sur une chaise qui trônait non loin des fenêtres de ma chambre.

Blessé à la cuisse lors de sa dernière mission, il s'était rué sans honte sur cette assise pour soulager ses douleurs.

— Que pourrais-je faire d'autre ? sifflai-je, encore vexé en ce début de soirée que mon père ait refusé de croire en mes avertissements. Je ne peux pas crier sur les toits la trahison qu'Irfan a en tête au risque de la précipiter. Je suis encore loin de pouvoir participer à la défense d'Askaz.

— Avec Garm, tu es pourtant bien plus dangereux que n'importe quel guerrier adulte.

— « Avec » Garm, comme tu dis. Tout seul, je ne suis rien.

— Donc tu comptes laisser les années filer en espérant en voir assez avant le moment fatidique pour soulever ta propre hache ?

Je ne dis mot, conscient du fond de reproche qui suintait de sa question. Mon idée paraissait absurde, mais je n'en avais pas d'autres.

— Je ne resterai pas les bras croisés, sifflai-je finalement. Je ferais en sorte de paver le chemin des Hatun de marécages boueux. Peut-être qu'à force de les voir batailler contre un courant contraire, mon père doutera de leur bienveillance.

— Espérons-le.

Dans une grimace crispée, il se leva.

— Maintenant que je jouis d'une vie un semblant plus libre, l'espoir que mon petit maître me libère un jour de cette marque qui orne mon cou, je ne voudrais pas qu'il meure bêtement de la main de ces commerçants de vie.

— Je déteste quand tu parles de moi ainsi.

Listair sourit, bien conscient de cela, et s'en amusait sans honte. Il me coula un clin d'œil complice et s'avança d'un pas boiteux vers la sortie.

— Essaie de te reposer, me lança-t-il, la main sur la poignée. Je pense qu'Irfan et son fils reviendront à l'attaque demain matin... avec leur mercenaire magicien.

À son ton plus envenimé que les crocs d'une vipère, je ne pouvais douter qu'il s'agissait d'un sarpïein. Il n'existait de toute façon guère d'autres mages qui prêtaient leur don contre quelques pièces.

Les dragons m'auraient-ils contredit avec leur connaissance du monde ? Bien qu'il fût insupportable par moment et prompt à soulever des problèmes d'envergure, leur trio fraternel me manquait. J'espérais qu'ils ne souffraient pas durant leur sommeil.

Prince et Dragon - Tome 3 : NyrsslïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant