Déroute - partie 2

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RYRN


J'étais tant sidéré que père ait osé douter des informations rapportées par Listair que je m'en étais allé sans demander mon reste. Voilà que cette satanée escouade de meurtriers allait jeter par la fenêtre mes dernières avancées pour ouvrir les yeux de père sur la traîtrise d'Irfan !

Colère, je ne lui obéis qu'à moitié et m'élançai vers la Möterta plutôt que de rejoindre le calme de ma chambre. Aux pieds des deux colosses de pierre qui veillaient l'entrée du sanctuaire des guérisseuses, un chemin pavé de roches claires descendait dans les entrailles du mont.

Personne n'en gardait l'entrée.

Les Askaziens, pauvres comme riches, restaient bien trop superstitieux pour qu'un voleur osât pénétrer les caveaux. Et de toute manière, les lieux ne comptaient rien à dérober. Les défunts étaient brûlés, leurs cendres déposées dans des urnes de métal. Aucune d'elles ne se démarquait, quel que fût le rang de leur propriétaire. Elles se trouvaient simplement classées au fil d'étagères creusées à même la roche, les contenants des âmes importantes au plus haut, tandis que celles qui avaient mené une vie simple reposaient plus bas.

Les Askaziens croyaient à la réincarnation, suite logique de leurs dieux dragons qui renaissaient sans cesse, et pensaient qu'une fois brûlé, un corps relâchait son âme vers une autre vie. Leurs cendres ne servaient qu'à honorer leur vie passée, en cas qu'un beau jour, quelqu'un revendiquât son patrimoine historique.

Jusqu'à aujourd'hui, aucun grand guerrier n'était rené pour revendiquer les faits d'une vie antérieure. Je doutais que cela soit possible... mais d'un autre côté, j'étais moi-même une entorse à mes doutes. Si mon âme était simplement revenue dans un corps, et non pas que Lazrie avait remonté le temps, j'aurais pu revendiquer les souvenirs d'Erich de Velt.

Ce que je n'aurais bien entendu jamais fait.

Au bout d'un tunnel, dont une série de torches léchait le plafond rocheux, je débouchai dans une cavité. Loin d'être naturelle, une allée s'élançait en son centre, délimitant deux zones de travail. D'un côté, les lamias déposaient les cadavres des morts sur des plans de pierre lisse, qu'elles recouvraient d'un tissu clair. En face, les passeurs se chargeaient de déshabiller les corps. Les Askaziens les nommaient ainsi, car en traitant les corps avant de les incinérer, ils aidaient les âmes à se libérer de leur chair pour passer d'une vie vers une autre.

— Les tiens pensent vraiment que pour la seule raison que les dragons sont vos dieux, ils bénéficieront aussi de leur cycle de vie hors norme? s'enquit Garm.

Probablement. Les humains aimaient bien se comparer à leurs dieux. Il en était de même chez les Dorsükiens bien que leurs déités arborent de tout autres traits.

— Et sinon, que faisons-nous sous terre? continua le barghest. J'apprécie l'obscurité, mais davantage celle de la nuit que des abysses de la terre.

Je veux voir les corps des ailourans.

— Vous pensez que votre père se trompe? Qu'ils n'ont pas muté?

Non, mais j'ai espoir qu'en les voyant, je comprendrai ce qui se passe.

Garm ne dit mot, mais je sentis qu'il doutait. Je ne lui en tins pas rigueur, moi-même peu convaincu par mes propres pensées. La métamorphose nocturne de corps restait loin d'être mon domaine d'expertise. Mais je n'avais de toute manière rien à faire de la journée avec mon bras en écharpe.

Prince et Dragon - Tome 3 : NyrsslïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant