Prince et Dragon - Tome 3 : Nyrsslïa

Oiseau foudroyant - partie 1

GYLDA

Après le désert rüdien et sa cité aux vents brûlants, les cotes d'Askaz étaient une libération. Dans une expiration conquise, Gylda ferma les yeux et profita de la tiédeur des embruns qui ravivaient sa peau sèche. C'était un comble de préférer les terres d'un peuple contre lequel les siens complotaient, à celles de leur allié. Mais il n'y avait rien à faire. Rüd se trouvait moins accueillante avec son paysage sec, d'autant plus si Gylda ajoutait les marchés empestant les vendeurs de vie et les coutumes patriarcales des rüdiens en à avoir la nausée.

Même en temps que fille de Vardig, allié important d'Irfan, elle se sentait comme une intruse sur le navire qui accostait au port de Nervei. Hatun n'avait de cesse de l'ignorer, ou bien de la calomnier en éventant des projets de mariage comme une ixième épouse de son horrible fils.

Je préférerais encore être promise au barbare de cette île, pensa-t-elle, le regard relevé vers les cimes qui bordaient le nord de la ville portuaire.

Comme dans tout port, de forts effluves de poissons saturaient l'air. Et contrairement à Rüd, l'île ne comptait pas d'épices pour supplanter cette odeur écœurante. Néanmoins, elle disparut après quelques escaliers et rues accidentées qui les conduisirent sur un plateau qui surplombait la cité. Mais plus que cette vue dégagée, Gylda s'intéressa davantage aux deux étranges raies qui somnolait sur des chariots de bois. L'une au bleu des profondeurs marines et l'autre au blanc cassé, elles surpassaient l'envergure de leurs meilleurs strigids, bêtes ailées qui faisaient la fierté de leurs cavaliers.

— Bienvenu, seigneur Hatun, seigneur Vardig, les salua un homme vêtu d'écailles et de cuir. Je me nomme Gluiz. Mes hommes et moi allons vous conduire à la capitale, auprès de maître Ahédan.

Gylda se retint de soupirer, lasse de ce voyage interminable. Et tout cela pour faire semblant d'être de potentiels amis, alors qu'en fond, ils manigançaient avec les Rüdiens pour se débarrasser des dragons assoupis.

La puissance des dragons ne devrait pas exister, mais je n'aime pas ces dessous de table en traître, maugréa la princesse, tandis que les hommes montaient déjà dans l'habitacle de bois des deux bêtes askaziennes.

Son frère, Afrit, l'invita de sa galanterie habituelle à monter avant elle, geste souligné par une grimace dédaigneuse de Dastan. Elle croisa son regard d'eau claire qui la défiait de le reprendre, mais elle l'ignora. Elle ne lui ferait pas ce plaisir de sombrer dans son jeu puéril. Le port altier, elle s'assit au côté de son père, tandis qu'Afrit s'installa en face de ce prince de malheur.

Si père ose émettre l'idée de me marier à cette ordure, je lui tranche les veines. Un cadavre ne sera pas un mauvais époux.

Un sourire en coin naquit sur ses lèvres framboise, tandis que la raie aérienne s'élevait. Elle aperçut la seconde par un hublot, sûrement chargée de leurs affaires.

Au fil du port se transformant en montagne, puis en forêt luxuriante et cités perchées, Gylda trouva le trajet jusqu'à Rodürz plutôt court. Ces bêtes aux lignes aquatiques semblaient plutôt rapides. Les lieux filaient à toute allure sous l'habitacle, pour leur dévoiler les premières demeures de la capitale sous un soleil couchant.

Le palais d'Irfan avait été une merveilleuse découverte avec son architecture douce et luxueuse, mais il n'était rien en comparaison de cette cité qui défiait les lois de la nature. Des huttes et longères de bois se hérissaient en tout coin, sur des plateaux ou bien sur les flancs de falaises eux-mêmes, reliés par un complexe réseau de ponts, de tunnels et d'escaliers de pierre à tel point que Gylda restait incapable d'en saisir chaque chemin. Malgré les tons ternes des matériaux, les rues n'en restaient pas moins chatoyantes sous les fresques, peintures et végétations qui décoraient maisons comme chemins. Gylda nota même d'étranges guirlandes de tissus aux formes variées, allant du simple carré au... pantalon.