Réflexions - partie 1

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RYRN

Le lendemain, sous l'astre lumineux dont les contours se profilaient derrière les pics montagneux, je quittai la salle commune du Darakan. Père comptait un conseil qui s'étirerait jusqu'à l'heure du repas. Irfan ne pourrait pas l'amadouer plus que de raison en mon absence. Même si intérieurement, je sentais que malgré toute ma détermination, paver d'embauches la route des Hatun s'avérait plus difficile que prévu.

— Tu as la tête ailleurs, lâcha un homme que je dépassai à vive allure, le nez rivé sur les planches du pont.

— Listair ! Tu...

Il barra sa bouche d'un index et je me tus.

— Oui, je t'avais donné rendez-vous au nid des vouivres, sourit-il. Mais c'était un faux lieu pour tromper une petite souris un peu trop curieuse.

Une mimique déforma mes traits, tandis que l'ailouran m'invitait à le suivre, à l'opposé même du chemin qui menait au premier lieu de rendez-vous.

De quelle petite souris parlait-il ? Lakanie ? Il avait pourtant accepté de la prendre comme apprentie.

— Ne me regarde pas comme ça, souffla-t-il un brin amusé. J'ai l'impression que tu me juges.

— Non... enfin, c'est juste que je pensais que Lakanie et toi... que tu avais accepté...

— La petite souris n'est pas Lakanie, me coupa-t-il.

— Qui alors ?

Nous bifurquâmes subitement vers un pont annexe qui ne menait plus vers le nid des griffons, mais vers la cité.

— La demoiselle Ailla.

— Elle ne pouvait pas t'entendre hier soir.

— Non, ça, c'est certain. Mais elle a des yeux et un intérêt particulier à surveiller les moindres de tes faits et gestes. Si elle n'avait pas trouvé un moyen de découvrir notre lieur de réunion pour une prétendue balade auprès de votre vouivron, elle vous aurait filé de bon matin.

Ahuri, je jetai un coup d'œil en arrière.

— Je ne l'ai pas remarquée, m'assura Listair. Elle doit être en chemin pour le nid de Zmeï, si elle n'y est pas déjà.

— Ou bien tu te méprends sur la curiosité de ma sœur.

L'ailouran me glissa un regard en coin. Il savait que je ne croyais pas en mes propres mots, en une erreur de jugement de sa part.

Sans plus échanger, nous traversâmes les hauts quartiers, bâtis d'une main de maître le long des flancs de montagnes, puis bifurquâmes vers le marché. Je ne me lassais pas d'admirer les lignes de linges qui sinuaient entre les bâtisses et zébraient le ciel de leurs couleurs chatoyantes. Au bout de ses ruelles, aux apparats dignes d'un jour de fête, se dressait le nœud névralgique de la cité avec sa tour des commerçants. Je me souvenais encore de ma première venue en compagnie d'Ixen, alors qu'il me cachait encore sa nature sous ses traits de jeune homme fragile.

Je laissai un sourire m'échapper comme je trouvais cette frêle apparence si mal choisie pour ce terrible dragon rouge. La dernière, qu'il conservait pendant son sommeil, s'approchait davantage de sa puissance destructrice.

Je soupirai, le cœur encore en proie à mes incertitudes, tandis que le nom du dragon dansait au creux de ma tête. Je tentai de l'oublier d'un regard perdu sur les alentours, mais ni les badauds ni les étals d'armes ne me soulagèrent.

— Tu ne m'invites tout de même pas à la taverne pour boire de bon matin ? lâchai-je d'un humour dénuer de réelle gaîté.

— Je ne vais pas gâcher les pauvres aeris que tu me donnes pour t'offrir à boire, me railla Listair. Et tu n'as pas l'âge de boire du dracigni.

Prince et Dragon - Tome 3 : NyrsslïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant