Prince et Dragon - Tome 3 : Nyrsslïa

Doutes - partie 4

RYRN

Je trouvais la décision de père trop empressée. Nous ne savions rien sur ce lien qui s'était créé entre mon âme et les fragments perdus de celle d'Ixen. Le temps semblait démontrer qu'il n'entraînait aucun désagrément. Au contraire, il me permettait d'avoir un meilleur ascendant sur nos vouivres, peut-être même sur Garm. Mais au fond de moi, je ressentais néanmoins un changement. L'étrange sensation qu'Ixen continuait de murmurer ses avis et conseils, parfois mal avisés, au creux de mon oreilles. Cette simple idée me poussait d'ailleurs à sentir une pointe de culpabilité dans mon cœur à les penser irréfléchis.

Malheureusement, je n'étais pas en position de contester les ordres de père. Pas en présence d'Irfan. Ce traître se satisferait de la moindre discorde dans notre famille. Il jouissait d'ailleurs de celle qui poussait mon père à me confondre avec un capricieux prêt à saboter une alliance, alors qu'un complot se dessinait dans notre sillage.

Je frissonnai de dégoût, malgré les températures écrasantes de cette fin de matinée.

La promenade digestive ayant été chamboulée à cause d'Ader, mais aussi de l'intérêt pour les dragons que j'avais ravivé de ma présence, Irfan manœuvra pour que nous grimpions à la Möterta. L'instant que je redoutais se rapprochait ! Le magicien des Hatun allait examiner les dragons et certainement prétendre qu'il ne pouvait rien faire. S'ensuivrait son ignoble plan pour nous voler leur corps et les envoyer dans cette fameuse forêt pourpre !

J'avais fait le vœu de paver leur chemin d'un marécage trop boueux pour progresser, mais tandis que nous montions les escaliers naturels vers le sommet de la Möterta, aucune idée ne me venait. Je suais à grosses gouttes, non pas de fatigue comme Irfan, mais de perles glacées par la peur.

Et si mon père acceptait l'aide véreuse de Hatun ?

Non. Il est plus prudent que cela, tentai-je de me convaincre. Il reste encore des choses que nous n'avons pas eu le temps d'essayer avant qu'il se résigne à envoyer les corps des dragons par delà les eaux.

— Je n'imaginais pas le chemin aussi long, souffla Irfan qui s'arrêta sur le deuxième plateau de la Möterta.

Même enceinte, mère avait gravi ces escaliers sans faillir jusqu'au sommet. Cet homme était une loque. Et malgré son jeune âge, son fils ne semblait guère plus résistant. La respiration saccadée, il ajuste le col de sa tunique et essuya d'un revers de main les gouttes qui perlaient sur son front. À côté d'eux, le sarpïein se portait comme un charme. J'avais eu espoir que la monté, peut-être même la vue vertigineuse, détournerait son attention, mais elle restait engluée sur ma personne.

Mon père occupé à materner les Hatun dont la force physique faisait défaut, je me glissai vers le magicien. La curiosité prenait le pas sur la raison qui me criait de rester à distance.

— Mon père s'est montré un peu sec à votre égard, lâchai-je simplement. Il a tendance à s'inquiéter exagérément dès qu'il s'agit de ma personne.

Le sarpïein ne dit mot, ses prunelles d'azur me scrutant avec attention.

— Quelles sont ces conjonctures que vous mentionniez plus tôt ? continuai-je.

Un sourire malin étira les babines écailleuses du magicien.

— Je m'étonnai que vous m'interpelliez pour de simples excuses. Vous êtes plus soucieux que le seigneur des cieux de connaître les risques potentiels d'un lien d'âme accidentel. Surtout avec des fragments aussi spéciaux que ceux du puissant Ixen.

— Il s'agit de mon âme.

— En effet.

Le sarpïein me fit languir durant un temps d'arrêt. Mon père et les Hatun reprenaient la marche et le magicien s'empressa de suivre le rythme. Je serrai les dents pour ne pas répondre à son sourire moqueur qui cherchait clairement à provoquer ma frustration.