Rouge glacial - partie 3

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AHEDAN


Depuis le départ des Hatun, les réclamations paraissaient s'enchaîner. D'abord discrètes, ne concernant que les habitants de la côte ouest qui supportaient mal l'arrivée en masse d'esclaves sur les navires rüdiens, elles migrèrent subitement dans les terres. Le passage de la famille royale semblait éveiller la population aux viles coutumes des sudistes dont leur maître souhaitait devenir allié. Et sans compter leur goût pour marchander des vies, ils faisaient preuve d'un irrespect déplacé envers la gent féminine.

— Ils n'auraient pas pu faire plus mauvaise impression, souffla Markhar dont il semblait bien le seul à pouffer de ces mots.

Ahédan lui coula un regard assassin, tandis que les membres du conseil l'observaient avec plus de déception et colère dans le regard.

— Vous auriez dû nous consulter avant d'accepter pareille alliance, trancha un vieil homme, pour la ixième fois depuis le début du débat. Nous savons que vous avez été propulsé en avant par la présence de nos dieux dragons à vos côtés, mais certaines décisions auraient mérité plus qu'une voix.

Ahédan ne dit mot, cloisonnant sa fureur au creux de son être. Depuis deux générations, le conseil avait offert les pleins pouvoirs au maître d'Askaz. Il préférait se tenir à l'écart des responsabilités et soucis politiques, prodiguant simplement leur avis si le dirigeant le demandait. Mais quand quelque chose tournait au vinaigre, il se plaignait, éhonté, que leur maître ne les ait point consultés avant d'agir !

— Vous avez vu l'acharnement des Noithcœur à notre encontre, clama Ahédan. Nous ne pouvions nous reposer sur notre simple alliance avec les Velt.

— De nombreuses alliances n'empêchent pas un assassin de remonter jusqu'au nïrsslya, pointa une quarantenaire à la tresse de feu.

— En effet, mais cela l'empêchait de faire des Rüdiens son allié et de nous prendre en tenaille entre ses terres et Rüd.

— Mais était-ce réellement nécessaire d'ouvrir nos frontières à ces esclavagistes patriarcaux ?

La conseillère ne lâcherait pas l'affaire. En tant qu'unique femme du Conseil des Anciens, elle tenait à faire valoir le respect envers ses consœurs. Point que les Rüdiens avaient maladroitement piétiné... avec leurs capitaines frivoles, mais surtout à cause du scandale du prince Dastan et de son esclave ailouran pour laquelle Ryrn avait manqué de le tuer.

S'extirper de ce conseil dont chacun se retournait contre lui s'avérait ardu. À tel point qu'il manqua de sourire à dents déployées quand un guerrier déboula dans le bureau.

Mais sa joie se mua en horreur dès lors que l'homme justifia son entrée tonitruante.

— Ader a envahi le pont supérieur ! Nïrsslya est sur son dos, inconscient. Nous sommes incapables d'approcher pour vérifier son été et l'aider à descendre !

Qu'avait donc encore fait son fils ?

Ader n'était pas domptable. Il le savait ! Pourquoi et comment avait-il atterri sur son dos ? Et pour quelle raison était-il inconscient ?

Si le conseil ne m'étrangle pas, ou qu'Ader ne me brûle pas, ma femme se chargera de me tanner le cuir, songea Ahédan.

Sur le seuil de la salle commune, un pied sur le pont intermédiaire, Ahédan percevait déjà les grondements d'Ader. Des éclats de voix, des crissements et des fracas d'objets brisés se mêlaient au cortège sonore.

— Dépêchons-nous ! souffla Markhar, en tête du groupe.

Cinq guerriers lui emboîtaient le pas, Ahédan en leur sein, tandis que les conseillers restèrent à l'abri. Il n'y avait pas de places pour les spectateurs autour d'une vouivre déchaînée. D'autant plus s'il s'agissait d'Ader.

Prince et Dragon - Tome 3 : NyrsslïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant