Prince et Dragon - Tome 3 : Nyrsslïa

Oiseau foudroyant - partie 3

RYRN

Le lendemain matin, je ne vis personne. Dès les premiers rayons de l'astre diurne qui perçaient les ténèbres, je filai au sanctuaire de la chamane où les jeunes en âge de passer la cérémonie devaient se regrouper. Ici, pas de pudeur ou de rang. Dans une longère à la décoration rudimentaire qui se résumait à des étagères et un feu central, nous devions revêtir notre tenue. Certains avaient déjà tombé haut et bas, homme comme femme, quand je retirai ma chemise. Mon armure en écailles d'Ixen m'attendait sur mon étagère. Je ne l'avais plus porté depuis la trahison d'Aimeric, dans le palais d'Aranir, alors que j'étais encore Erich de Velt. En tant que fils d'Ahédan Edka et manieur de hache de guerre dont les mentors vantaient les mérites, je savais que la chamane me désignerait comme un guerrier. Mais j'étais loin d'être le seul à me douter de mon affectation. À mes côtés, un jeune d'une tête de moins que moi examinait sa tenue de chevaucheur, un sourire fier aux lèvres. Plus loin, je devinai une forgeronne, ou encore un guérisseur. Chacun était formé dès la plus tendre enfance au métier familial. Il était extrêmement rare que la chamane offre une autre voie que celle déjà apprise. Cela concernait souvent ceux qui désiraient sortir de la coutume familiale. Or en Askaz, elle avait la peau dure.

— Vous allez être un adversaire de taille dans la mêlée, nïrsslya ! clama une voix dans mon dos.

Je me retournai sur un jeune guerrier, entouré de quatre autres soupirants.

— Ne nous en veuillez pas si nous nous liguons contre vous, ajouta-t-il dans un sourire taquin.

Il n'y avait aucune malveillance dans son ton, comme dans leur regard. Un simple échange avant le début des hostilités.

— Ce sont les lois du champ de bataille, lâchai-je dans un air défiant.

Je savais qu'entre mon titre et mon équipement, je serais la cible à éliminer d'entrée de jeu. Pendant la mêlée, il n'y avait qu'une seule règle. Le dernier debout l'emporte. Les alliances étaient autorisées, comme le fait de les briser une fois l'ennemi commun terrassé. Il en était de même pour les autres voies, même si leur épreuve restait un brin différente. On ne demandait pas aux jeunes forgerons de se taper dessus jusqu'à n'en avoir plus qu'un seul débout...

— Si vous êtes prêt, montez aux cercles de pierres ! tonna une assistante à l'entrée de la longère.

La chamane en comptait dix. Toutes des femmes à la sagesse spirituelle dont il n'y avait plus rien à prouver. Elle communiquait avec mère-nature tout aussi bien que les lamias et pouvait en quérir la magie, en cas de nécessité, bien qu'elles restaient loin d'être des magiciennes. Les premiers jours de l'arrivée des Velt, Ennris avait passé beaucoup de temps en leur compagnie, fasciné par cette capacité magique alors qu'elles ne possédaient aucun pouvoir en elles.

Mais mes pensées revinrent sur l'instant présent dès que j'atteignis la dernière marche grimpant vers le cercle de pierre. Au sommet du pic qui surplombait la longère s'étirait une place impossible à fouler hormis durant les cérémonies de passage.

Un lieu sacré et renversant, délimité par des dolmens de pierre sombre.

Nous nous alignâmes en des lignes parfaites au centre du cercle à l'envergure si imposante qu'Ixen aurait pu s'y tenir sans mal. Face à nous, la chamane, encadrée de deux assistantes, qui s'apprêtait à clamer notre avenir. Un feu devant elle et un chaudron de poudre mystérieuse à sa droite, les fumées que ces deux ustensiles provoqueraient une fois mêlées dessineraient la voie que nous devrions suivre. Mais le plus oppressant restait les montagnes de gradins qui entouraient le cercle de pierre. Et il n'en fallait pas moins pour accueillir tous les citadins de la capitale, ainsi que les familles d'Askaz qui faisaient le voyage pour l'évènement. Sans compter les invités de marque dont je percevais avec peine les silhouettes dans la loge seigneuriale. Juchée au-dessus de la chamane, ma famille s'y trouvait, entourée des Velt, des Hatun, des Lysceurs, et plus récemment, des merfolks et des yazuokhs. Ces derniers étaient d'ailleurs faciles à repérer avec leur carrure de géant doublée de leur tête de bovin.