On l'a réveillée en vitesse. C'est Nalah qui l'a faite lever. Farouk s'est redressé aussitôt :
— On file, a-t-il sommé.
La nuit n'avait pas terminé son œuvre. Elle étendait encore ses ombres au-dessus du désert et même au-delà. Ils ont bu un peu d'eau, ont mangé juste le nécessaire. Abdé préparait les ânes.
— Nous devrons remplir les gourdes aujourd'hui, a dit Nalah. Sinon nous allons perdre nos bêtes.
— Je sais, a répondu Farouk.
Ils ont profité de l'absence du soleil pour abattre de la route. Avec la fuite de la nuit reviendrait la chaleur. Shanalah s'est surprise à frissonner. Ainsi elle a deviné que le jour était encore loin. Elle baillait et cillait, se cramponnant à la bride de l'âne qui avançait en fixant le sable. Abdé s'est approché et lui a tapoté l'épaule. Elle l'a regardé : il souriait ; elle aussi a souri.
Abdé était de dix ans son aîné mais n'était pas le fils de Nalah. Farouk l'avait hérité de l'époque où il servait un prince du désert de Nojaara. Les deux hommes conservaient un lien que jalousait Shanalah ; mais elle n'en gardait pas rancune a Abdé : il se comportait toujours comme un frère pour elle, et lui inspirait même un bel exemple.
Quand le soleil s'est vraiment mis à cogner, ils ont serré leurs turbans. Au plus chaud, le désert devenait presque rouge et pouvait brûler la peau à nue. Ils ont ralenti, les ânes traînaient. L'un d'eux a poussé un braiement déchirant et s'est immobilisé. Abdé s'est approché pour le caresser mais l'âne a continué de braire.
— De l'eau, a dit Farouk.
Il a attendu. Personne n'a réagi.
— Sinon, on va le perdre.
— Je n'en ai bientôt plus, a avoué Nalah.
Farouk a regardé le ciel. Il ressemblait à une grande tache de sang qui se diluait et devenait flou. Puis, du regard, il a interrogé Shanalah et Abdé. Abdé a haussé les épaules, contrit.
— Il me reste une petite gorgée... s'est plainte Shanalah.
— Alors garde la, a conclu son père.
Il a commencé à décharger l'âne. Shanalah l'a regardé faire, sans réagir. Soudain, elle a sursauté, comme si seulement elle prenait conscience de ce qu'il se passait :
— Attends ! je veux bien lui donner ma part ! On va en trouver, de toute façon, hein ?
Elle a regardé Abdé. Il a détourné les yeux.
— Sha... a dit Nalah.
— Non. Même si on en était certain d'en trouver, ce serait déjà une mauvaise idée.
Shanalah n'a pas compris. Elle n'a pas voulu comprendre. Elle s'est approchée de l'animal qui ne cessait pas ses cris. Farouk lui a fait signe de reculer mais elle continuait d'avancer, sa gourde ouverte, prête à la porter à la gueule de l'âne souffrant. Son père l'a repoussée, Abdé l'a attrapé dans le dos et a blotti son visage entre son épaule et son cou. Elle a essayé de retenir ses larmes mais elles sont venues quand mêmes. Ça n'a pas duré, les larmes étaient sèches. Elle n'avait rien à pleurer que du sable et du sel.
Ils ont repris la route, affaiblis physiquement et mentalement. Ils avançaient au ralenti, les pieds enfoncés dans le sable. Les braiements les ont suivis longtemps. Les cris résonnaient dans l'espace du désert, couraient le long des dunes. Puis ils se sont éloignés suffisamment, ou l'animal s'est tu. Shanalah n'en a jamais rien su.
Lorsqu'il a commencé à faire si chaud qu'il a fallu s'abriter, ils ont déployé la tente. Ils portaient le paquetage de l'âne abandonné en plus de leur poids habituel. Il leur restait un âne qui tournait de l'œil. Ils l'ont invité sous la tente, se sont serrés, puis ils ont partagé ce qu'il restait d'eau entre eux.
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Shanalah [TERMINÉ]
FantasyLa lutte de Shanalah, fille du désert, et de sa famille qui fuient leur monde ravagé. Ce là-haut existe-t-il réellement ? *illustration temporaire réalisée à l'aide de l'IA Midjourney