Farouk restait assis là, à écouter les râles des mourants et les cris d'agonie des condamnés. Cette symphonie ne le réconfortait pas, tout l'inverse. Les morts tenaient généralement une discussion macabre. Mais ça l'empêchait de penser au reste. Ça l'empêchait de penser à Nalah, à Shanalah et à Abdé.
Plus loin, un homme couvert de bubons a éructé puis vomi. Sa gorge s'est étranglée. Il crachait du sang. Peut-être allait-il s'étouffer avec. Quelle mort horrible ce devait être. Il a à peine levé les yeux vers lui : l'homme roulait des pupilles. Farouk a capturé la détresse de son regard et les yeux de l'homme se sont révulsés : il est mort.
Que pouvait-il bien faire, lui. Incapable de défendre sa propre famille. Voilà ce qu'il était : un incapable. C'était lui, qui aurait dû agoniser dans cette tente, cerné par l'odeur infecte de la mort, abandonné de tous et oublié de chacun.
— Qui est-ce ? a murmuré une voix dans son dos.
Farouk s'est tourné lentement. Il ne l'avait même pas entendu entrer. Curieusement, ça ne l'a pas plus étonné. En temps normal il l'aurait pourtant été, étonné.
— Mon fils. C'est mon fils.
Le Chah a hoché la tête, s'est assis à côté de lui et lui a tapé sur la cuisse. Il était incroyablement jeune. Peut-être l'âge d'Abdé.
— Ce qui est arrivé est un désastre, soldat.
Il parlait calmement et sa voix était empreinte de respect. Il a fixé Farouk :
— Ce n'est pas ainsi que je compte gouverner mon royaume. Mais la guerre appelle des mesures discutables, nous ne vaincrons pas nos ennemis grâce à des hommes mais des soldats. Cheik, que je refuse d'appeler de ce titre qu'il s'était donné de « prince » était un salopard, mais c'était aussi un meneur incroyable qui savait transformer ses guerriers en monstres. Et ce sont de monstres dont nous avons besoin pour récupérer la place qui nous a été interdite, là-haut. Ces hommes-là craindront ce qui va déferler sur eux, je le gage. Et tant que nous ne les aurons pas balayés de ces lieux, ce sont d'hommes comme Cheik dont j'aurais besoin, et de ses monstres. Car les monstres terrifient les braves gens, bien que ceux-ci n'en soient pas, ce doit être ainsi qu'ils se considèrent, je présume. Mais lorsque nous aurons mené cette guerre et que nous n'aurons plus besoin de ces monstres qui ont hanté notre passé, je les chasserais jusqu'au dernier. Je saurai me montrer, une dernière fois, implacable et sans remords. Parce que, dès lors que nous serons là-haut, lotis à la place des voleurs qui nous ont auparavant dépouillés, alors nous pourrons envisager l'avenir ainsi que je le vois. Car l'avenir, soldat, je le vois fait de gens bons et loyaux. Et si vous êtes bon et loyal, alors vous aurez la place que vous méritez dans ce monde que je créerai pour vous et les vôtres. Et dans ce monde, les monstres comme Cheik n'auront plus leur place et il faudra la laisser pour tous ceux qui sont honnêtes.
Le Chah s'est levé et a fait le tour de la pièce. Il s'est approché d'un homme couvert de plaques rouges et, à lui aussi, lui a parlé à voix basse.
Après qu'il en a eu fait de même avec d'autres, il s'est éloigné vers l'entrée. Juste avant de sortir, il a regardé Farouk et a dit :
— J'espère qu'ils guériront vite. Demain, nous partirons au plus tôt et ils devront être capables de marcher. Nous ne pourrons pas plus attendre.
Puis le Chah est sorti.
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Shanalah [TERMINÉ]
FantasyLa lutte de Shanalah, fille du désert, et de sa famille qui fuient leur monde ravagé. Ce là-haut existe-t-il réellement ? *illustration temporaire réalisée à l'aide de l'IA Midjourney